Coronavirgen, collage mural, Madrid, 13 mars 2020

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Titre

Coronavirgen, collage mural, Madrid, 13 mars 2020

Description

Contagion et religion dans le street art du coronavirus 


Cette image est la photographie d'une œuvre de l'artiste Ernesto Muñiz, collée sur les murs de Madrid le 12 mars 2020, c'est à dire l'avant-veille du confinement généralisé en Espagne. L’artiste ne se doutait pas, en affichant le premier exemplaire de cette « Coronavirgen » à côté de chez lui, en plein centre de la ville, que sa photographie allait connaître une diffusion virale sur le net. L’œuvre a frappé les consciences en fusionnant plusieurs thèmes qui se rapportent à l'imaginaire des pandémies : religion, maladie et guerre mondiale. Sa diffusion, au tout début de l’épidémie de Covid-19, la dotait d’une sorte de valeur prophétique, qui en ferait l’une des icônes du Madrid confiné.

L’iconographie pieuse du christianisme voire de la « santería » latino-américaine est au centre de ce collage, qui présente la figure la Vierge, vêtue de la traditionnelle étoffe bleue et coiffée d'un voile crème, soulignée par une guirlande de roses aussi rouges que sa robe, qui dans les icones populaires évoquent la présence des défunts. La maladie est évoquée avec ce virus couronné et luminescent que la Vierge désigne en son sein, qui entretient une parenté à la fois sémantique et graphique avec le sacré cœur et la couronne d'épines du Christ. L'idée que ce virus constitue une menace mortelle saute au regard avec le masque à gaz que porte le personnage, qui laisse néanmoins voir son regard implorant, connectant l’imagerie religieuse à celle de la guerre, et notamment des armes chimiques déployées des Première et Seconde guerres mondiales.
L’image suggère ainsi la létalité de l’attaque chimique, aussi menaçante qu’invisible, autant qu’elle fait écho à la phraséologie politique et médiatique de la « guerre contre le virus ». Enfin, la dimension mondiale de ce combat est évoquée par la planète bleue qui coiffe la vierge à la manière d'une auréole, dont les océans couleur cyan font écho au bleu azur du manteau de cette Coronavirgen.

Ernesto Muñiz, artiste multidisciplinaire né à Mexico en 1974 et résidant actuellement en Espagne, a débuté comme photojournaliste avant de se spécialiser dans le collage (papier comme  numérique). Ses œuvres, de foisonnants assemblages d’images issues de la culture populaire et jouant avec le répertoire de la contre-culture underground et l’esthétique du kitsch, lui ont conféré une notoriété internationale, qui témoignent du phénomène d’institutionnalisation du street art, bien étudié dans le cas madrilène (Puech, 2014 ; Garcia, 2020 ; Giacomaso et al., 2022). Muñiz est ainsi représenté par des agents et exposé dans des galeries du monde entier. Pourtant, nombre de ses œuvres ont été censurées sur les réseaux sociaux, et certaines autres ont fait polémique, comme son travail pour les affiches de la série Narcos México produite par Netflix (2019).

La Coronavirgen « fait partie de ma série Altares de Guerrilla (Autels de guerrilla), que j'ai commencé à coller dans les rues vers 2010 », relate l'artiste en évoquant ses débuts professionnels difficiles dans le champ artistique, après son licenciement comme photojournaliste du journal Excelsior de México. Au cours d’un entretien donné à Perla Sánchez pour La Vanguardia en avril 2020, l’artiste explique que dans cette série, « les vierges et les saints perdent leur aura divine pour refléter notre condition d'humains ». Et se surprend que des Madrilènes soient venus disposer des cierges devant des exemplaires de son collage ! On voit ainsi, dans le reportage photo accompagnant cet article, le cliché d’un employé des services de propreté de Madrid ôter respectueusement un cierge posé sur la poubelle au-dessus de laquelle est collée l’affiche, avant d’entreprendre de la décoller du mur… (Sánchez, 2020).

Pourtant, bien que cette œuvre éphémère relève de la pratique illicite du collage d’affiches et intègre la perspective de sa propre destruction dans son propos esthétique (l’arrachage partiel du papier créant d’intéressants effets graphiques), elle n’en prétend pas moins atteindre une certaine pérennité, notamment grâce à sa diffusion en série sur les murs de la ville puis proprement virale, sur les réseaux sociaux —où l’artiste possède divers comptes sous le nom @munizer. L'artiste en a décliné depuis 2020 plusieurs versions et variantes, et elle figure encore en 2022 en bandeau sur ses profil Twitter et Facebook.

Cette iconographie fusionnant les références aux univers de la religion et de la guerre a été développée, durant la pandémie, dans de multiples œuvres de street art réalisées de par le monde : relayées par les médias et les réseaux, elles ont contribué à forger une représentation visuelle globale de cette maladie nouvelle (Mitman, 2020). Objet de travaux universitaires autant que de commandes publiques, d’expositions, de promotion touristique ou de projets d’urbanismes, le street art est aujourd’hui pleinement institutionnalisé —ce qui reviendrait pour certains à dire qu’il est « fini » (Parisi, 2016).

Proclamant fièrement son « je vous salis ma rue » (Grandhomme, 2014), cette Coronavirgen, devenue virale, figure d’ores et déjà dans divers livres recueillant des photographies des « murs du confinement » (Christian et Benhamou, 2020 ; Tapies, 2020), documentant ainsi une partie de la mémoire visuelle urbaine et globalisée de la pandémie.

Couverture

Couverture spatiale

Madrid
Calle Toledo

Couverture temporelle

Date

Type

Illustration

Langue

Créateur

Relation

Christian, Marie et Benhamou, Cyrille, Les murs du confinement: street art et Covid-19, Bordeaux, Librairie Mollat, 2020, 286 p.

Garcia, Lisa, « Entre ville brouillon et ville chef-d’œuvre : le graffiti et le street art dans la construction du paysage urbain à Madrid, 2015-2020 », HispanismeS. Revue de la Société des Hispanistes Français, n°14, 2019. En ligne : https://journals.openedition.org/hispanismes/374.

Giacomasso, María Vanesa, Mariano, Mercedes et Conforti, María Eugenia, « Procesos de comunicación urbana en la producción de grafitis. El patrimonio como escenario de disputas », Ánfora: Revista Científica de la Universidad Autónoma de Manizales, vol. 29, n°53, 2022, pp. 214‑242. En ligne : https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=8512332.

Grandhomme, Virginie, Je vous salis ma rue, film documentaire, CNRS-Images, 2014, 37 min. En ligne : https://images.cnrs.fr/video/4167.

Mitman, Tyson, « Quand la pandémie inspire le street art », The Conversation, 27 mai 2020, publication originale en anglais le 18 mai 2020. En ligne : http://theconversation.com/quand-la-pandemie-inspire-le-street-art-139312.

Parisi, Vittorio, « Le « street art » est-il fini ? », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, REVEL, n°30, 2016. En ligne : http://journals.openedition.org/narratologie/7511.

Puech, Anne, Street art contestataire et revendicatif en Espagne : formes et pouvoir, d’un engagement esthétique, social et politique contemporain, thèse de doctorat, Université d’Angers, 2014. En ligne: https://theses.hal.science/tel-01704611

Tapies, Xavier, La street art ai tempi del coronavirus. Edizione illustrata, Milan, L’Ippocampo, 2020, 128 p.

Référence bibliographique

"Coronavirgen", collage mural, 24x36 cm environ, Madrid, rue Toledo, 12 mars 2020 ; postée sur le compte Instagram d'Ernesto Muñiz @munizer.

Source

Page Facebook d'Ernesto Muñiz, 1er mars 2020 :
https://www.facebook.com/ernestomuniz.artistavisual

Droits

Tous droits réservés : Ernesto Muñiz

Licence

Avec l'aimable autorisation de l'artiste

Est référencé par

Sánchez, Perla, “La Coronavirgen, el arte debe contagiarse”, La Vanguardia, 30/04/2020. En ligne: https://www.lavanguardia.com/participacion/retos/20200430/48819759567/coronavirgen-streetart-arte-ernesto-muniz-covid-19-narcos-netflix.html.

Ortiz, Delia Angélica, « Coronavirgen, ruega por nosotros », El Sol de México, 12 mars 2021. En ligne : https://www.elsoldemexico.com.mx/cultura/arte/coronavirgen-ruega-por-nosotros-6469939.html.

Projet Urban Art Mapping, collection https://covid19streetart.omeka.net/items/show/106

Original Format

Reproduction peinte sur papier (affiche) placardée en divers endroits de Madrid

Physical Dimensions

24x36 cm. aprox.