Avis à nos concitoyens. Recette du vinaigre des quatre voleurs

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Avis au public d’un remède contre la peste

Titre

Avis à nos concitoyens. Recette du vinaigre des quatre voleurs

Description

La peste : se protéger, se soigner

La lutte contre le mal fait appel à une grande variété de traitements préventifs et curatifs, mobilise quantités de remèdes et conduit à d’étonnantes décisions collectives. Pour prévenir le mal, les échevins de Marseille ont décidé, en août 1720, un embrasement général des remparts et des rues : les bûchers, disposés au carrefour des principales rues, étaient destinés à chasser les miasmes. La purification est également recherchée en brûlant une once de soufre dans chaque pièce des appartements, vêtements étalés et fenêtres fermées. À Salon, où l’on aime rappeler l’usage des parfums par Nostradamus, le Bureau de santé exige, en août 1721, « de parfumer toutes les maisons qui ont été contaminées pour tenter de déraciner le mal contagieux qui afflige cette pauvre ville attendu que l’on ne le voit pas ». L’ennemi est assurément invisible ! Par ailleurs, des médecins, préconisent souvent l’emploi du vinaigre pour éviter la contamination et désinfecter les lieux. L’usage de vinaigre est au cœur la fameuse recette dite « vinaigre des quatre voleurs », peut-être initiée à Toulouse au XVIIe siècle, sinon avant :

« Recette du vinaigre des quatre voleurs :
Trois pintes de fort Vinaigre de vin blanc, Une poignée d’Absynthe, Une idem Reine-des-Prés Une idem graines de Genièvre, Une idem Marjolaine sauvage, Une idem Sauge, Cinquante cloux de Girofle, Deux onces racine de Nulle-campana, Deux onces Angélique, Deux onces Romarin, Deux onces Marube Trois gros de Camphre. Mettez le tout dans un vaisseau pendant quinze jours, et bien luté [bouché] ; après lequel temps passez au travers un linge avec expression ; mettez ledit vinaigre dans des bouteilles bien bouchées. On s’en frottera les Tempes, les Oreilles, les Narines, les Mains, de temps en temps, quand on sera obligé d’approcher des pestiférés. » 

Les remèdes curatifs sont communiqués par les praticiens, médecins, chirurgiens, apothicaires, et circulent parfois par l’intermédiaire des autorités municipales à l’instar de cet avis diffusé le bourg de La Valette, près de Toulon : « Avis au public d’un remède contre la peste »

« Lorsqu’on a le chaud de la fièvre, il faut bien concasser quarante à cinquante escargots, les plus gros sont les meilleurs, avec la coquille ; et appliquer un pareil nombre sur la plante de chaque pied et les y laisser 24 heures ; il arrive souvent que la fièvre commence avec le froid ; il faut le laisser passer et dans le chaud de la fièvre, il faut appliquer les escargots qui doivent être mis en pate avec la coquille. Pendant ce temps-là on ressent piquer comme des pointes d’aiguilles sur quelques endroits du corps. Après les 24 heures, il faut tirer le premier emplâtre, le jeter bien loin ou l’enterrer, s’il se peut bien profond ; concasser encore dix ou douze escargots, les y laisser encore 24 heures. Pendant que ce second emplâtre opère, il faut prendre la miette de pain blanc ou autre la mettre dans un petit pot avec de l’eau, la mettre au feu ; lorsque l’eau commence à rire il faut jeter l’eau, écumer un peu la miette et ensuite la détremper avec deux jaunes d’œufs, deux paquets de safran de deux liards ; puis de cela on fait plusieurs emplâtres qu’on commence d’appliquer sur le bubon après les 24 heures du second emplâtre des escargots, et le changer soir et matin en mettant un peu d’huile d’olive sur chaque emplâtre d’avant que de l’appliquer il faut toujours jeter bien loin et enterrer l’emplâtre. Lorsqu’on voit que le bubon s’avance, il faut ouvrir un oignon, le partager par le milieu, en long, en ôter toutes les feuilles du dedans, remplir le vide de savon, découpé en tranche délicate et d’huile d’olive et mettre cela sur un peu de braise afin que le savon se fonde avec l’huile d’olive et fasse avec l’oignon comme un onguent qu’on doit conserver tiède. Après on met de la fiente d’homme ou celle de femme qui ne soit point malade sur un linge ; sur laquelle fiente chaude on doit mettre de cet onguent tiède et l’appliquer en même temps sur le bubon jusqu’à sa maturité et en état de s’ouvrir ; que si cela ne suffisait pas, il faut faire bouillir du manne avec des figues et l’appliquer dessus, l’y laisser quelques temps et alors immanquablement le bubon s’ouvrira de lui-même et ou sera en état d’être ouvert par un coup de lancette. Car, si on ouvrait le bubon avant sa maturité, le malade mourrait ou il ferait d’autres bubons qui seraient peut-être plus dangereux que le premier. Comme on le voit, par l’expérience, il faut prendre garde de faire l’ouverture un peu grande afin que le bubon puisse bien suppurer d’avant que de se fermer. Il est à propos que chacun porte cousu à la boutonnière de son habit un grain de camphre. »

La pharmacopée vise principalement à éliminer le « venin » par le vomissement, la purge, la saignée et la transpiration. Les sudorifiques sont aussi variés que surprenants : poudre de vipère, antimoine « diaphorétique », safran, camphre, infusion de vulnéraire, eaux de scabieuse, charbon béni, genièvre, angélique, sauge, sureau, thériaque pour éliminer les toxines. Frictions, ventouses, cataplasmes ou « emplâtres » accompagnent ces traitements internes aux effets incertains. Il n’est pas nécessaire d’étendre davantage la panoplie, en nous gardant de juger et moins encore de moquer le comportement de ces hommes qui, ne sachant rien du mal ou si peu, ne pouvaient pas grand-chose, la peste étant, selon le père Giraud, « la maladie la plus bizarre, la plus indéfinissable, la plus incompréhensible de toutes », laissant ainsi libre cours aux recettes de charlatans « faiseurs de drogues ».

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Relation

Buti, Gilbert, « Structures sanitaires et protection face à la peste (1720-1721) », Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, t.10, 1998, 1-2, pp. 67-80.
Buti, Gilbert, « Se protéger et repousser l’ennemi invisible en Provence, 1720-1722 », Catalogue de l’exposition Marseille en temps de peste, 1720-1722, Ville de Marseille, 2022, pp. 88-97.
Aziza, Judith, Soigner et être soigné sous l’Ancien Régime. L’Hôtel-Dieu de Marseille aux XVIIe et XVIIIe siècles, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013.
Carrière, Charles, Courdurié Marcel, Rébuffat Ferréol, Marseille, ville morte : la peste de 1720, Marseille, M. Garçon, 1968.
Hildesheimer, Françoise, La terreur et la pitié. L’Ancien Régime à l’épreuve de la peste, Paris, Publisud, 1990.
Lebrun, François, Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Messidor, 1983 (rééd. Paris, Le Seuil, 1995).
Mouysset, Sylvie, 1628 ou la mort aux trousses, Toulouse, éditions Midi-Pyrénéennes, 2021.
Peyron Louis, « Odeurs, parfums et parfumeurs lors des grandes épidémies méridionales de peste, Arles 1720 », Bulletin de la Société des Amis du vieil Arles, 1988, n. p.

Référence bibliographique

Avis à nos concitoyens. Recette du vinaigre des quatre voleurs, Collections du Musée d'histoire de Marseille 2009 0 379.

Source

Collections du Musée d'histoire de Marseille 2009 0 379

Droits

Domaine public

Ayants droit

Musée d'histoire de Marseille
Cliché : Gilbert Buti

Support

archives (papier) : manuscrit et imprimé

Location

Musée d'histoire de Marseille
Archives municipales La Valette du Var