La grippe espagnole

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Titre

La grippe espagnole

Description

L’article d’Henry Jagot est représentatif du traitement réservé à la grippe espagnole par les quotidiens d’information générale (tel Le Petit Parisien) au cours de l’année 1918. Véritable fenêtre ouverte sur le monde, bénéficiant depuis 1881 d’une large liberté d’expression, les médias français ont connu un essor sans précédent au cours du XIXe siècle, consacré par une diffusion de masse en mesure de façonner les représentations des lecteurs. L’entrée en guerre le 3 août 1914 modifie cependant la donne : entre l’établissement d’une censure justifiée par la situation militaire et l’adhésion à la cause de l’Union sacrée, les médias sont devenus de puissants piliers de l’effort de guerre. Dans le contexte d’un conflit dont le déroulement cristallise l’attention du public, la mise en visibilité de la grippe espagnole est en ce sens entravée. Ce constat ne signifie pas que la maladie ne soit pas inscrite dans l’horizon des préoccupations du moment. La trace laissée par cette actualité dans les médias écrits en est la preuve. Mais eu égard à son impact, cette crise sanitaire est loin d’occuper la une des journaux. La relégation en page 2 de cet article est de ce point de vue significative. Deux mois environ après l’apparition des premiers symptômes en France (avril-mai 1918) et jusqu’au 28 mai, date à laquelle la maladie qui frappe le roi d’Espagne est communiquée, la présence de la grippe reste donc discrète. Dans une configuration donnant la prééminence au phénomène guerrier, il s’agit de ne pas alarmer l’opinion. Les premiers cas de grippe qui se sont déclarés dans l’armée incitent à une extrême prudence. La grippe est traitée comme un événement étranger, espagnol en l’occurrence.

Au-delà de ce contexte, la gravité de l’épidémie n’a pas été perçue à sa juste mesure. Le fait que la grippe soit une maladie banale, dont la version saisonnière est commune (« bien qu’elle soit capable des pires méfaits, on n’a jamais voulu la prendre au sérieux ») n’est pas seule en cause. Le ton de l’article l’indique, qui porte une double empreinte. En premier lieu, celle d’une certaine tradition du journalisme français longtemps animé par des hommes de lettres ; écrivain, l’auteur appartient au milieu littéraire ; l’érudition de Jagot transparaît au début du texte quand il compare la grippe à un « petit bruit rasant la terre qui devait grandir, étant espagnol » faisant écho au fameux air de la calomnie dans l’opéra de Rossini, Le barbier de Séville. Aux antipodes de l’écriture médiatique catastrophiste associée de nos jours à la crise sanitaire (Francis Chateauraynaud, 2008), cette entrée en matière, toute en légèreté, permet de situer la grippe sur l’échelle des maux du temps : sans que sa portée ne soit sous-estimée, ce n’est pas l’épidémie qui constitue la matrice quotidienne du discours journalistique, mais la guerre. L’autre empreinte qui donne sa tonalité à l’article concerne justement le vocabulaire guerrier. Certes le recours à ce type de métaphore comme ressort de la mobilisation sociale contre l’épidémie est un classique du genre. Il se trouve cependant renforcé dans le contexte du Premier Conflit mondial : l’allusion au « front allemand » ; le déploiement de la grippe depuis son « attaque initiale », qui s’est accélérée (« attaque brusquée ») et à laquelle il faut « opposer la guerre de position » en vue de la « victoire », autant de références familières à la culture de guerre que les médias contribuent à entretenir depuis l’été 1914. Si le fait guerrier impose son registre sémantique à la société, il façonne aussi le rapport des milieux de la presse à l’information. Les effets se conjuguent ici pour rendre opaques les « pérégrinations » de la maladie. Toujours difficile à saisir, la circulation virale est d’autant plus complexe à cartographier en 1918 que la rétention de l’information participe au plus haut point de la stratégie de défense des autorités. L’incertitude qu’introduit toujours dans une société l’irruption du risque épidémique est donc aggravée dans le cas de la grippe espagnole : la maladie « mystérieuse », « bizarre », venue d’Espagne, qui présentait un « air de famille avec la grippe », a suscité cependant bien des « doutes » à ses débuts compte tenu des scénarios issus du passé (la dernière grande pandémie grippale renvoie à la grippe russe de 1889-1890) selon lesquels la menace progressait vers la France depuis l’est. Les « informations les plus récentes » qui confirment cet « itinéraire de contagion » (André Siegfried, 1960) font de façon opportune de la patrie de l’ennemi (l’Allemagne) l’épicentre de cette sinistre visiteuse qui endosse selon les époques les nationalités les plus diverses.

Couverture

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Relation

Vagneron Frédéric, « Quand revient la grippe. Elaboration et circulation des alertes lors des grippes « russe » et « espagnole » en France (1889-1919), Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2017/1, n° 25, pp. 55-78.

Bar-Hen Avner, Zylberman Patrick, « La presse parisienne et la grippe espagnole (1918-1920) », Les tribunes de la santé, 2015/2, n° 47, pp. 35-49.

Référence bibliographique

Jagot, Henry, "La grippe espagnole", Le Petit Parisien, 9 juillet 1918 (n° 15127), p. 2

Source

Bibliothèque nationale de France, Gr Fol-Lc2-3850

Notice du catalogue: http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb34419111x.public

Identifiant :  ark:/12148/bpt6k566586p

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