La Mort du poète, Edmond ROSTAND

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Titre

La Mort du poète, Edmond ROSTAND

Description

L’article consacré à la mort d’Edmond Rostand donne l’occasion d’aborder la grippe espagnole sous l’angle de ses victimes. Le bilan de la pandémie a été objet d’une révision historiographique (Bulletin of the History of Medecine, 2002) qui a fait augmenter l’estimation du nombre de décès de 30 à 50 millions de par le monde. Les premières données pour la France datent quant à elles de 1931 : à la faveur d’un bilan démographique sur la Grande Guerre, le bureau de la Statistique de France établissait le nombre total de morts de la grippe à 150 000 : 91 500 en 1918 dans la population civile, 31 300 en 1919, auxquels s’ajoutent 30 000, décomptés dans l’armée (Frédéric Vagneron, 2015). Moins meurtrière, l’année 1919 correspond à la troisième vague (de février-mars à l’été 1919) se déployant après la signature de l’armistice dans un contexte où la démobilisation favorise la circulation épidémique. Sans doute minorés, ne serait-ce que parce qu’ils portent seulement sur 77 départements de l’époque, ces chiffres ont été revus à la hausse depuis (jusqu’à 250 000 morts) intégrant notamment les cas de comorbidité. Si le tribut payé par la population française à la grippe espagnole est donc important, il a été cependant noyé dans l’ensemble plus vaste de la mortalité de masse caractéristique de la Première Guerre mondiale : près de 1 400 000 morts au combat ou de ses suites pour une population d’environ 33 millions d’habitants. Cette configuration explique que les pertes de la grippe espagnole se soient surtout inscrites dans la mémoire familiale plutôt que collective, polarisée durant l’entre-deux-guerres autour du culte des combattants. Seuls les plus illustres des défunts se signalent à l’attention en tant que victimes de la pandémie. C’est le cas de l’écrivain et poète Edmond Rostand, né en 1868, mort le 2 décembre 1918 à Paris, inhumé postérieurement à Marseille, sa ville natale. L’article publié le 3 décembre dans Le Matin revient avec force détail sur les circonstances de l’événement. L’homme de lettres « a rendu le dernier soupir hier à 13h30, après deux heures d’agonie, entouré des siens ». La publicisation de cette fin de vie contraste avec les morts ordinaires que la presse évoque le plus souvent uniquement dans le cadre de statistiques. Ces victimes dont l’identité n’est pas dévoilée restent dans l’anonymat des données démographiques avec lesquelles elles se confondent. Tout au plus sont-elles catégorisées en fonction de leur âge. Un article du Petit Parisien du 31 octobre 1918 nous apprend ainsi que les personnes décédées appartiennent surtout à la tranche des 20-39 ans. En ce sens, les hommes illustres sont tels les arbres cachant la forêt. Les faits qui suivent contenus dans les archives municipales de Marseille le montrent. Un jour après avoir adressé une lettre à la famille d’Edmond Rostand pour lui présenter ses condoléances (soit le 3 décembre 1918), le maire de Marseille évoquait dans un courrier daté du 4 le décès d’une « des infirmières de l’hôpital municipal de [Notre-Dame de] Sion, Sœur Léoncia, victime de son dévouement », annonçant ses obsèques pour le lendemain, 5 décembre (AM D.4.D 141, folio 116 Correspondance). L’ordinaire des affaires courantes d’une municipalité permet ici de saisir la pluralité des profils de victimes de la grippe espagnole, du poète dont la ville s’enorgueillit qu’il soit un de ses fils, à l’humble figure du care féminin qu’est sœur Léoncia, morte à 32 ans comme nous l’apprend le site en ligne MemorialGenWeb, des suites de maladie contractée durant son service et médaillée d’honneur des Epidémies. Les crises sanitaires font ainsi se croiser les destins les plus divers. L’article de la poétesse Anna de Noailles (1876-1933) en témoigne à sa façon. Elle y développe l’idée que la disparition de Rostand réconcilie défunts illustres et anonymes, cette communion des morts reposant non pas sur le sort commun des victimes de l’épidémie mais s’opérant par un jeu de miroir entre morts de la grippe et morts au front. Anna de Noailles met ici en évidence la porosité des frontières entre les uns et les autres. Par son décès, Rostand a rejoint « tous les soldats tombés pour la liberté depuis 1914, les plus humbles, les plus obscurs, les plus inconnus ». La vocation du poète national s’accomplit en ce sens qui est de « parler aux morts », d’être choisi par la patrie comme « son fils de prédilection pour son cruel holocauste », en un « mystérieux échange de la terre avec les cieux ». Cette association entre défunts de la Grande Guerre et de la grippe espagnole reflète le poids des morts dans une société meurtrie par le conflit et rassemblant de vastes communautés de deuil.

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Relation

Darmon Pierre, « Une tragédie dans la tragédie : la grippe espagnole en France (avril 1918-avril 1919) », Annales de démographie historique, 2000/2, pp. 153-175.

Niall Johnson, Juergen Mueller, « Updating the accounts : global mortality of the 1918-1920 « Spanish » influenza pandemic », Bulletin of the History of Medicine, 2002/1, Vol. 76, pp. 105-115.

Référence bibliographique

Noailles, Anna de, "La Mort du poète, Edmond ROSTAND", in Le Matin: derniers télégrammes de la nuit , Paris, 3 décembre 1918 (n° 12698), p. 1.

Source

Bibliothèque nationale de France

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328123058
Identifiant :  ark:/12148/bpt6k572733k

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