¡¡Cof cof!!, graffiti de Fernando Simón pris de toux à la télévision, Valence, 2020

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Titre

¡¡Cof cof!!, graffiti de Fernando Simón pris de toux à la télévision, Valence, 2020

Description

Art de rue et pandémie: contestation ou consensus ?

Le médecin épidémiologiste Fernando Simón a été le principal porte-voix de la communication gouvernementale durant la pandémie de Covid-19 en Espagne : directeur du Centre de coordination des alertes et des urgences sanitaires (CCAES) du Ministère espagnol de la Santé depuis 2012, il est intervenu quotidiennement à la télévision pour commenter l’évolution de l’épidémie durant le premier semestre 2020. C’est pris d’une quinte de toux en plein discours télévisé, à cause d’une amande avalée de travers juste avant le direct, qu’il est représenté sur cette fresque urbaine réalisée à Valence par le grapheur et street artist j.warx en juin 2020, avant d’être postée sur les réseaux sociaux.

Des artistes urbains du monde entier ont porté en images, dans le contexte de sidération collective qui a été celui du début de cette pandémie, la consigne « Restez chez vous ». Décliné sous diverses formes nationales et internationales, ce slogan symbolisant l'impératif d’union sacrée dans la guerre contre le virus, devenu un véritable cliché, pourrait sembler de ceux que le graffiti aime à prendre pour cible via la satire, l’ironie ou la caricature. Mais l’art dit urbain est-il encore porteur de sa dimension « micro-politique » et contre-culturelle (Riffaud et Recours, 2016) lorsqu’il prend la forme d’une fresque aussi respectueuse des codes de la discipline que de l’image d’un porte-parole du gouvernement ?

Médecin épidémiologiste de formation, Fernando Simón dispose au début de l’épidémie d’une solide expérience dans le domaine de la santé publique auprès  d’organisations internationales en Afrique, en Amérique latine et en Europe. Il est aussi présenté comme un homme de terrain, qui a dirigé le service d’urgences de l'Institut espagnol de la santé Carlos III entre 2003 et 2011. Malgré quelques choix de communication controversés au début de l’épidémie (vivement critiqués sur les antennes du puissant groupe de presse conservateur de la Conférence épiscopale), il a fini par gagner la sympathie de l'opinion, par sa franchise de ton, son humour, et son flegme face au torrent médiatique. Sa posture de scientifique rigoureux a contribué au sentiment de confiance qu’il a suscité. Si dans son cas on parle d’élite, synthétise l’écrivain Xandru Fernández, "c’est d’élite intellectuelle ; et le personnage ne traîne pas de réputation d’endogamie universitaire ou de cooptation administrative" (Contexto, n°260, mai 2020). Cette image a su compenser certaines failles de la stratégie gouvernementale de communication de crise (García-Santamaría et al.,, 2020), au point qu’il est devenu « le porte-voix qui calme les gens face à la peur du coronavirus » (elplural.com, 27 février 2020), voire le nouveau « fiancé de l’Espagne » (Fernández, 2020).

Mais c’est surtout sa modestie et son humilité qui ont conquis les cœurs. Dans la presse, on a pu le voir voyageant à bord du métro madrilène, tel un citoyen lambda ; ou encore faisant du surf ou de la moto. Le phénomène du standom, sorte de fanatisme numérique, a fini par gagner ses admirateurs (Rubio Hancock, 2020): l’image de Fernando Simón est à la base d’une multitudes de mèmes, qui comptent parmi les plus échangés en Espagne en 2020 et dont certains ont même fait la couverture de El País Semanal, l’hebdomadaire le plus lu d’Espagne.

Au-delà de la fonction cognitivo-affective de ces mèmes (Wagener, 2020) et des bienfaits avérés du rire qu’ils provoquent en contexte pandémique (Curchod et. al., 2021), leur diffusion numérique virale est aussi l’indicateur du processus de mythification médiatique dont a progressivement fait l’objet la figure de Fernando Simón, à l’instar de celles du Docteur Fauci aux États-Unis ou de Didier Raoult en France. On a vendu des masques, des t-shirt, des sacs de plage et même des figurines de super-héros à l’effigie de Fernando Simón –qui a d’ailleurs demandé à ce qu’une partie des bénéfices issus de la vente de ces goodies soit reversée à des ONG (Público,  12 juin 2020). La presse relate même des cas de personnes s’étant fait tatouer le visage de leur « idole » sur la cuisse : Simón à Valence, et Raoult à Marseille ...

Dans un processus d’intericonicité revendiqué par l’artiste, ce document superpose ainsi divers « moments » médiatiques de la séquence générée par l'anecdote de la quinte de toux de Fernando Simón : viralisation de cette vidéo sur internet, puis sa traduction en mèmes ; et enfin sa transcription en « fresque » conjuguant les codes du graffiti urbain et de la culture mémétique.
Source d’inspiration pour les artistes contemporains, l’hybridation des supports numériques et de l’approche urbanistique est à l’origine de projets qui renouvellent le sens du militantisme artistique, entre ‘artivisme’ et ‘hacktivisme’ (Waelder Laso, 2019; Manduca et al., 2020).
Avec ce graffiti issu d’un mème, l’imaginaire visuel nativement transmedia du coronavirus retourne donc « dans la rue », et vient s’ajouter au répertoire de la vaste et liquide production discursive générée par la pandémie de Covid-19.

Couverture

Couverture spatiale

Espagne
Valencia

Couverture temporelle

Date

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Illustration

Langue

Créateur

Relation

Curchod, Marion, Sieber, Victorine et Stern, Guillaume, « Rire en contexte pandémique : les mèmes, analyse d’une pratique digitale », Cahiers du Centre de Linguistique et des Sciences du Langage, n°64, septembre 2021, pp. 117‑126. En ligne : https://www.cahiers-clsl.ch/article/view/1033.

García-Santamaría, José-Vicente; Pérez-Serrano, María-José et Rodríguez-Pallares, Miriam, « Portavoces oficiales y estrategia audiovisual en la crisis de la Covid-19 en España », Profesional de la información, vol. 29, n°5, 2020. DOI: https://doi.org/10.3145/epi.2020.sep.13

Guadagno, Rosanna E., et al., « What makes a video go viral? An analysis of emotional contagion and Internet memes », Computers in Human Behavior, n°29, 2013, pp. 2312-2319. DOI : 10.1016/j.chb.2013.04.016

Manduca, Ramiro et Puente, Maximiliano de la, « El humor en el espacio público real y virtual. Análisis de dos experiencias de colectivos de activismo artístico en Argentina », Atlante. Revue d’études romanes, n°13, octobre 2020. En ligne : https://journals.openedition.org/atlante/1095.

Riffaud, Thomas et Recours, Robin, « Le street art comme micro-politique de l’espace public : entre artivisme et coopératisme », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, n°30, 2016. En ligne : http://journals.openedition.org/narratologie/7484.

Rubio Hancock, Jaime, « Fernando Simón se ha convertido, meme a meme, en un icono pop de internet », Verne. Suplemento de El País, 9 mai 2020. En ligne : https://verne.elpais.com/verne/2020/05/08/articulo/1588930677_213430.html.

Waelder Laso, Pau, « Hackear la ciudad algorítmica. Arte urbano y nuevos medios », HispanismeS. Revue de la Société des Hispanistes Français, n°14, 2019. En ligne : http://journals.openedition.org/hispanismes/417.

Wagener, Albin, « Mèmes, gifs et communication cognitivo-affective sur Internet », Communication. Information médias théories pratiques, vol. 37, n°1, avril 2020. En ligne : https://journals.openedition.org/communication/11061.

Référence bibliographique

j.warx, "¡¡Cof cof!!", photographie d'un graffiti réalisé à Valence représentant Fernando Simón pris de toux lors d'une allocution télévisée, publiée sur le compte Instagram @j.warx le 6 juin 2020.

Source

Compte Instagram de l'artiste @j.warx: https://www.instagram.com/p/CBFfvlbJnWn/

Droits

Tous droits réservés : @j.warx

Licence

Avec l'aimable autorisation de l'artiste

Original Format

Fresque murale (graffiti), Valence