'El virus nos mata... los irresponsables también': banderole de balcon à Madrid, 2020

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Titre

'El virus nos mata... los irresponsables también': banderole de balcon à Madrid, 2020

Description

De la contestation en temps de confinement. Quand la rue reprend ses droits

Cette image montre une banderole de balcon, photographiée à Madrid en octobre 2020, alors que les Espagnols subissaient, comme les Français, un énième « reconfinement » partiel, dont ils n’entendaient guère la logique (Costa-Sánchez et López-García, 2020).

Cette photographie a été publiée en ligne par le présentateur de télévision Jesús Vázquez, sur ses comptes Twitter et Instagram, le 20 octobre 2020, avec le commentaire : « visto ayer en la calle Carretas de Madrid », c’est-à-dire « vu hier dans la rue Carretas à Madrid ». Sur l’image, on voit en effet la fenêtre d’un immeuble typique de l’hypercentre de la capitale espagnole, dont le balcon est orné d’une pancarte, réalisée à la main sur un support de couleur kraft, portant ce slogan soigneusement calligraphié :

« le virus nous TUE, les IRRESPONSABLES aussi ».

Nous sommes donc ici en présence d’une forme très particulière d’expression de l’opinion individuelle sur la place publique : la banderole de balcon. Pratique aux usages multiples (Morant Marco et Martín López, 2013), elle ici montrée dans sa fonction « messagère », qui exprime plus précisément une forme de protestation passive contre un fait d’actualité. Cette forme d’expression de l’opinion a été particulièrement développée en Espagne dans les années 2010, depuis le mouvement dit des « Indignés » ou lors de la montée de l’indépendantisme catalan. Tout comme les applaudissements à la fenêtre à 20 heures, cette pratique s’est généralisée, lors de la crise sanitaire internationale du Covid-19, dans différents pays qui ont connu, comme l’Espagne ou la France, des périodes de confinements successifs durant cette pandémie.

Ainsi, on a pu observer (de nombreux florilèges ayant paru dans la presse, traditionnelle ou en ligne, pendant l’année 2020), comment les citoyens « confinés » exprimaient par ce moyen leur vécu ou leur opinion sur la crise. Dans un premier temps, ce sont surtout des messages de soutien au personnel soignant que l’on a vu fleurir sur les balcons, ou encore des messages d’espoir, accompagnés de dessins, souvent réalisés par des enfants qui découvraient cette étrange situation que celle de « l’école à la maison » (Galloso Camacho, 2021). Le post initial de Jesús Vázquez est d’ailleurs accompagné d’émojis (un bras musclé, un visage portant un masque chirurgical et un cœur rouge) qui signifient son soutien à la « lutte contre le virus », message de rigueur pour une personnalité médiatique populaire.

Ici, le slogan constitue une protestation ouverte contre les « politiques ». Le slogan indique clairement que cette posture critique ne relève pas du « complotisme », puisqu’il prend soin de préciser que « le virus nous tue », ne contestant donc pas la réalité de la maladie ; mais il prend pour cible les dégâts, tout aussi mortels que le virus, causés par une gestion politique jugée calamiteuse de cette crise.

Les enquêtes réalisées sur la perception de la gravité de la pandémie et de la gestion publique de la crise sanitaire font état, en Espagne, d’une certaine ambivalence. En effet, les Espagnols se montrent, au début de l’épidémie, plus favorables que le reste des Européens à des mesures restrictives (comme le confinement) pour lutter contre la propagation de la maladie, et affichent davantage de confiance dans le gouvernement central que dans les autorités locales pour établir ces mesures (Amat et. al., 2020). Mais ils sont parallèlement ceux qui manifestent le plus de défiance envers leurs personnalités politiques, les tenant par exemple pour responsables de la diffusion de fausses nouvelles (Kleis Nielsen et al., 2020).

Sur cette banderole, la classe politique espagnole est directement taxée de meurtrière, en raison de sa négligence et de son incurie : les politiques sont taxés d’« irresponsables », un terme qu’on a beaucoup vu circuler lors du mouvement des ‘Indignés’ en 2011, lequel s’est notamment enraciné dans une protestation populaire contre des scandales de corruption politique répétés.

La banderole de balcon apparaît ainsi comme une forme alternative de contestation, lorsque les populations confinées, captives dans leur espace privé, cherchent des moyens d’expression publique : M.V. Galloso parle « d’espace public personnalisé ». En Espagne, le message « d’union sacrée » face à la crise sanitaire s’est ainsi vite mué en une protestation contre la gestion publique du système de santé qui, depuis la crise de 2008, a été considérablement affaibli par des coupes budgétaires successives.

À notre connaissance, aucun projet organisé de collecte d’images témoignant de cette forme « confinée » de manifestation publique qu’est la banderole de balcon n’a eu lieu en Espagne, à l’instar du défi collaboratif français « Nos vitrines parlent à l’heure du confinement », lancé par Sara Gensburger et Marta Severo, qui a permis de récolter plus de 4000 photographies. Équivalents "confinés" de graffiti, témoins éphémères du vécu de la pandémie, ces banderoles sont les traces précieuses de l’expression d’un dissensus citoyen lorsque l’accès à l’espace public est restreint, voire impossible: le signe, en quelque sorte, que la rue finit toujours par reprendre ses droits.  

Couverture

Couverture spatiale

Espagne
Madrid
calle Carretas

Couverture temporelle

Date

Type

Affiche

Langue

Créateur

Relation

Costa-Sánchez, Carmen et López-García, Xosé, « Comunicación y crisis del coronavirus en España. Primeras lecciones », Profesional de la información, vol. 29, n°3, mai 2020. En ligne : https://revista.profesionaldelainformacion.com/index.php/EPI/article/view/epi.2020.may.04.

Galloso Camacho, María Victoria, « El discurso de los balcones en tiempos del confinamiento COVID », Revista Latinoamericana de Estudios del Discurso, vol. 21, n°1, juillet 2021, p. 168‑189. En ligne : https://periodicos.unb.br/index.php/raled/article/view/36514.

Kleis Nielsen, Rasmus ; Fletcher, Richard ; Newman, Nic, [et al.], « Navegando la “infodemia”: así consume y califica las noticias y la información sobre el coronavirus la gente en seis países », Reuters Institute for the Study of Journalism / Oxford University, 18 avril 2020. En ligne : https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/navegando-la-infodemia-asi-consume-noticias-e-informacion-sobre-coronavirus-espana-argentina-otros-paises#sub8.

Morant Marco, Ricard et Martín López, Arantxa, « El lenguaje de los balcones », Signa: Revista de la Asociación Española de Semiótica, vol. 22, janvier 2013, [En ligne : https://revistas.uned.es/index.php/signa/article/view/6364].

Référence bibliographique

Anonyme, "El virus nos mata, los irresponsables también", banderole de balcon dans la rue Carretas de Madrid, le 19 octobre 2020, photographie: Jesús Vázquez.

Source

Compte Twitter de Jesús Vázquez @_JesusVazquez_, statut du 20 octobre 2020, https://twitter.com/_JesusVazquez_/status/1318481609230778371