Passer au contenu principal
80 documents à la une

II - La fièvre jaune de Catalogne (1821)

Introduction Salle 2

Portrait d'homme souffrant de la fièvre jaune

Coordination : Gérard Dufour

Salle 2

L’épidémie de fièvre jaune en Catalogne en 1821

             Au début du XIXème siècle, la fièvre jaune sévit régulièrement aussi bien en Amérique (en particulier aux Antilles et en Louisianne, aux Etats Unis) qu’en Europe (spécialement en Espagne). Mais de toutes les épidémies que connurent l’ancien et le nouveau monde, celle qui ravagea la Catalogne espagnole d’août à la fin décembre 1821 fut celle qui marqua le plus fortement et le plus durablement les esprits, notamment en France, où la toponymie des rues de la capitale et de Grenoble perpétue encore le souvenir de cette tragédie.

            Ce fut tout d’abord une crise sanitaire extrêmement meurtrière, qui emporta quelque 25 000 des 90 000 habitants de Barcelone, et à Tortosa, la moitié des 4 000 personnes (sur une population totale de 10 000 âmes) qui ne purent se réfugier à la campagne et où la situation fut à ce point dramatique que l’on envisagea de raser la ville pour éviter qu’une semblable situation ne se reproduise.

            Pour y faire face, les autorité locales (le chef politique supérieur de Catalogne, la municipalité de Barcelone, de Tortosa et des autres villes contaminées, avec leur juntes sanitaires respectives) prirent des mesures souvent drastiques : interdiction de sortir ou d’entrer dans les localités infectées, à l’exception de ceux qui pouvaient évoquer un motif valable et obtenir un passeport sanitaire attestant qu’ils n’étaient pas contaminés (ce qui n’empêcha pas la mairie de Madrid d’imposer une quarantaine à ceux qui disposaient d’un tel sésame) ; mise en place de cordons sanitaires pour isoler les localités infectées de la province, et celle-ci du reste du royaume ; à Barcelone, construction de baraquements sur la colline de Montjuïc, avec incitation financière pour que les plus pauvres abandonnent leurs logis mal ventilés du centre-ville, interdiction (trop tardive) aux médecins d’abandonner la ville ; obligation aux notaires de prendre les testaments que leur dicteraient les moribonds ; interdiction de fréquenter les plages et de se baigner, restriction du nombre de consommateurs dans les cafés, etc.

            Ces dispositions, qui impliquaient à Barcelone la fermeture du port et tout échange économique ou commercial avec l’extérieur, entraînèrent une crise économique qui affecta particulièrement les classes défavorisées, privées de leur gagne-pain. Pour y remédier, les autorités firent appel (non sans succès) à la charité publique, tant sur le plan régional que national. La France en fit de même pour ses ressortissants dont nombre d’entre eux se retrouvèrent eux aussi réduits à l’indigence, tel cet ancien officier supérieur réfugié dans la capitale catalane qui en fut réduit pour survivre à se faire fossoyeur.

            L’Eglise ne resta pas à l’écart des événements : à Tortosa, l’évêque et tous les franciscains de la ville périrent en assistant les moribonds dans leurs derniers instants. Mais bien des membres du clergé protestèrent quand le maire de Barcelone, pour éviter la contagion, recommanda à ses administrés d’éviter de fréquenter les églises mal ventilées et bondées de fidèles venus implorer la clémence divine. Et surtout, la tension fut à son comble entre les autorités civiles et nombre d’ecclésiastiques quand certains d’entre eux prêchèrent que l’épidémie était un châtiment que Dieu infligeait à l’Espagne pour avoir imposé une constitution au roi.

            De telles billevesées furent reprises en France par les ultra-royalistes et leur organe de presse, La Quotidienne et, dès l’apparition des premiers symptômes de l’épidémie, fut décrété l’instauration d’un cordon sanitaire sur les frontières terrestres et maritimes avec l’Espagne. Une telle mesure n’avait rien d’anormal et, en 1820, le département de la Seine et Marne, où sévissait la suette millaire, avait été ainsi isolé du reste du royaume. Ce qui, en revanche, était fort surprenant, c’est que ce cordon s’étendait sur toute la longueur des Pyrénées, du Perthus à Hendaye, soit à plus de 500 kilomètres des lieux où sévissait l’épidémie. Et ce qui ne l’était pas moins, c’est que les troupes destinées à le former n’étaient pas seulement composées de régiments d’infanterie de ligne, mais aussi d’artillerie. Que ce fût en Espagne ou en France, nul ne pouvait douter que ce cordon sanitaire était en fait un cordon militaire. Et s’il pouvait subsister quelque doute, celui-ci fut dissipé quand, la situation sanitaire ayant été rétablie, les troupes furent maintenues sur la frontière, devenant l’armée d’observation des Pyrénées qui devait, en avril 1823, franchir la Bidassoa sous les ordres du duc d’Angoulême.

            Pour sa part, Louis XVIII n’admit jamais que ce cordon sanitaire avait d’autres buts que de préserver ses sujets de la terrible maladie qui ravageait la Catalogne. Pour en persuader le bon peuple, le président du conseil des ministres, le duc de Richelieu, décida l’envoi, en septembre, d’une commission médicale chargée d’observer la maladie, d’en déterminer l’origine et la nature ainsi que les moyens d’y remédier. Une telle initiative était parfaitement inutile sur le plan médical car, deux des médecins membres de ladite commission avaient déjà effectué une semblable tâche à Cadix en 1819 et avaient conclu à la contagiosité de la fièvre jaune. Mais elle fut particulièrement efficace du point de vue politique : la presse de tout bord fit pleurer Margot et la France entière en évoquant la mort du docteur Mazet et la maladie qui frappa ses confrères Pariset et Bally. Mais en portant aux nues l’héroïsme de ces praticiens qui ne s’étaient pas contentés du rôle d’observateurs qui leur avait initialement été assigné, les journaux accréditèrent la thèse de la contagiosité de la fièvre jaune, ce qui était bien le but de l’opération. Aussi le gouvernement n’eut-il guère de peine à faire approuver par les deux chambres une loi sanitaire qui entérinait, en cas d’épidémie, le recours aux cordons sanitaires, auxquels on avait jusque-là recours, mais sans base juridique.

            Mais si l’opinion publique française fut ainsi persuadée du caractère contagieux de la fièvre jaune, ce ne fut pas le cas de la totalité du corps médical ni dans l’hexagone, ni dans le reste du monde. En Espagne, de nombreuses voix s’élevèrent contre cette théorie, et en particulier celle du docteur Jean Lameyrie, qui avait renoncé à la nationalité française pour devenir citoyen des Etats Unis d’Amérique et, en bon ultra-libéral, voulait « constitutionnaliser la médecine ». Ses attaques contre les « médecins du roi de France » envoyés à Barcelone furent particulièrement virulentes. Et efficaces, puisque, au terme de discussions passionnées où chacun s’appuya sur des publications savantes, les Cortès finirent par repousser, au nom des libertés individuelles, une loi sanitaire semblable à celle qui avait été adoptée en France.

            Pour le docteur Pariset, « nier la contagiosité de la fièvre jaune » c’était « nier l’existence de Dieu » et la mission qu’il avait menée à Barcelone au beau milieu de l’épidémie de 1821 sembla lui donner raison. Mais pour peu de temps. Car en 1827, l’Académie royale de Médecine de Paris, dont il avait été nommé par Louis XVIII secrétaire perpétuel, décida, à son grand dam, et au terme de débats passionnés sur les travaux du docteur Chervin qui avait réalisé l’examen critique de toutes les observations qui avaient pu être faites sur cette maladie, que la fièvre jaune était un mal infectieux, mais non contagieux. L’épidémie qui avait sévi en Catalogne en 1821 avait tenu une place importante dans ses réflexions critiques.  Et, à ce titre, mérite d’être signalée d’une pierre blanche dans les annales de la médecine.

             L’historien ne manque pas de documents pour reconstituer ce que fut cette épidémie qui mit en alerte les opinions publiques des deux côtés des Pyrénées. Il dispose tout d’abord de la presse, espagnole et française, qui permet de suivre l’évolution de la maladie et les ravages qu’elle fit dans Barcelone (documents 3 et 11), et de préciser les mesures prises pour tenter de l’endiguer (documents 19 et 20), les polémiques de tout genre, médicales certes (document 15) mais même politico-religieuses (document 6) qu’elle engendra. La littérature médicale (documents 16, 17 18) constitue également une source précieuse de renseignements tout comme les compositions poétiques à une époque où l’on estimait que « la prose s’envole, mais la poésie reste » (document 14). Mais nos ancêtres n’attendirent pas le slogan d’un de nos actuels hebdomadaires pour ajouter le choc des images au poids des mots : les illustrations d’ouvrages (documents 2, 4, 5 et 10), les gravures (documents 1, 7, 8, et 12), la peinture (document 9) et même la numismatique (document 13) livrent également de précieux témoignages sur cette période qui, à maints égards, offre tant de similitudes avec celle que nous vivons depuis plus de deux ans.

Avec le soutien de :