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80 documents à la une

IV - La Covid-19 (2019-)

Introduction Salle 4

<em>De la peste au Covid-19... Mask Story, </em>fresque murale, Caen, avril 2020 <em><br /></em>

Coordination : Eve Fourmont-Giustiniani et Sophie Gebeil

Salle 4

La Covid-19 (2019-)

La crise du coronavirus: de la pandémie à l'infodémie

Cette quatrième salle de l’exposition Quatre pandémies à la Une en 80 documents est consacrée à la pandémie de Covid-19, maladie infectieuse causée par un coronavirus apparue à Wuhan, en Chine, en décembre 2019. Caractérisée par une contagion rapide et une mortalité élevée, cette épidémie a touché 180 pays dans le monde. Le 11 mars 2020, elle a été catégorisée comme pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Un mois plus tôt, cette même organisation qualifiait déjà d’« infodémie » le torrent médiatique généré par cette crise (Girel, 2020). Vécue en synchronie sur la planète entière, relayée par l’ensemble des médias à grand renfort de chiffres alarmants, d’images saisissantes et de commentaires continus, répercutée en direct par des millions, voire des milliards d’usagers des réseaux sociaux numériques (RSN), la pandémie de Covid-19 est, du point de vue de la masse d’information (et de mésinformation) qu’elle a engendrée, un « événement » médiatique sans précédent. Les mesures de contention prises dans de nombreux États du monde sont elles aussi historiquement inédites, tant par leur ampleur que par leurs conséquences socio-économiques : en particulier, l’imposition de confinements généralisés aux populations civiles (dont le premier et le plus strict s’est déroulé en France et en Espagne entre mi-mars et mi-mai 2020) a constitué un basculement radical dans la vie de millions de personnes.

La présente collection aborde la question de l’émission, de la transmission et de la réception de l’information liée à cette crise sanitaire, en France, en Espagne et plus largement dans l’espace sud-européen et méditerranéen, sur la période qui s’étend de janvier à décembre 2020. Elle a pour objectif de montrer comment, à travers les différents canaux d’information et de communication actuels, majoritairement numériques —quatrième pouvoir que sont les médias, source d’information alternative que constitue le web, mais aussi vecteur de fake news que peuvent devenir les RSN—, ont été construites et véhiculées à la fois les réponses à ces mesures restrictives inédites et les représentations collectives de la maladie.

Comment analyser la communication déployée autour de la crise sanitaire à l’heure de « l’infobésité », documenter la façon dont l’information circule et se transforme au cours d’une telle crise, et préserver la mémoire digitale de sociétés aux prises avec une pandémie ? La collecte et la sélection des documents présentés dans cette galerie a été accompagnée d’une réflexion concernant la nature des sources, pour beaucoup nativement numériques, qui ont été examinées. Recourant aussi bien à l’exploration thématique des archives du web ou à la technique de l’enquête par questionnaire en ligne, qu’à la collecte numérique « à la volée » constituant par sérendipité de petit corpus à vocation exploratoire (Moirand, 2018), les méthodologies mobilisées pour la présente étude revendiquent un triple caractère pluridisciplinaire, empirique et qualitatif. La perspective comparative entre la France et l’Espagne, qui n’exclut pas la prise en compte de contextes plus larges, est un autre fil directeur de la collection.

La galerie met ainsi en relief quelques-uns des « instants discursifs » saillants de la séquence médiatique générée par cette crise sanitaire (Moirand, 2021). Elle fait apparaître la similarité, de part et d’autre des Pyrénées, de certaines préoccupations et angoisses collectives liées à l’irruption d’une maladie inconnue, mais aussi les contrastes observables dans l’éventail de réactions sociales et culturelles singulières suscitées par cette crise.

Depuis les  déclarations d’état d’urgence et les décisions de « confiner » (en Espagne puis en France, les 14 et 16 mars 2020), c’est d’abord la sidération engendrée par cette situation inouïe dont la galerie rend compte (document 1). Le discours gouvernemental déployé à travers les médias pour légitimer ces mesures est analysé dans ses dimensions iconographiques : les documents 2 et 3 montrent comment la communication de crise française a tenté de « donner forme » à la réalité de la pandémie au moyen de graphiques ou de cartes; et le document 19 comment l’image du sympathique porte-parole du gouvernement espagnol a pu contribuer à l’acceptation sociale des mesures sanitaires adoptées par l’État central espagnol, auxquelles se sont superposées les décisions prises aux différents échelons territoriaux (comme dans le cas de la Catalogne, abordé avec le document 1).

En France comme en Espagne, le rythme des contagions a bientôt conduit à la saturation des capacités hospitalières ; les archives photographiques de la pandémie du site web ArchivoCovid (document 16) montrent l’étendue de la catastrophe vécue dans la péninsule. La pandémie a accru les dysfonctionnements préalables des systèmes sanitaires nationaux, dénoncés en Espagne depuis 2011 avec  les « marées vertes » de protestation contre les coupes budgétaires dans la santé publique, comme en France, où les manifestations  de soignants, récurrentes depuis une quinzaine d’années, ont connu un pic majeur en 2019. Le recours du personnel médical aux réseaux sociaux (document 4) pour communiquer sa détresse et relayer ses revendications n’est pas nouveau. Il se double d’autres formes de témoignages, recourant elles aussi à une mise en images et au registre du sensible, telles que la bande dessinée, qui permet d’allier reportage documentaire et représentation fictionnelle (document 5). Dans le cas français, la pénurie de lits d’hôpitaux, de personnel qualifié et même de matériel prophylactique de base pour le grand public tel que les masques respiratoires a fait scandale (document 7). L’épidémie a d’autre part révélé la tension entre l’urgence de traiter les malades et la longue durée des protocoles de recherche médicale. « L’affaire Didier Raoult » (document 6) a entraîné une exposition médiatique exceptionnelle des milieux de la recherche, et montré comment les discours publics déployés durant cette crise ont entremêlé les registres scientifique, médiatique et politique (Favart et Silletti, dirs., 2021).

Cette galerie donne également un aperçu de la façon dont ces discours médiatiques sur la pandémie ont pu être « métabolisés » par l’opinion publique, au double prisme de la culture populaire et de l’idéologie politique. Transformés, tronqués ou déformés, ces discours alimentent toutes sortes de rumeurs, fausses nouvelles et théories complotistes (Monnier, 2020). Les documents 6, 7, et 8 montrent comment l’imagerie satirique nativement numérique qu’est la « mémétique » raille ces discours et croyances. Les mèmes, composés icono-textuels humoristiques échangés massivement durant la pandémie, sont une transcription directe de la façon dont des citoyens isolés, captifs de l’information comme de leur logement, ont vécu à la première personne des mesures de confinement historiquement inédites. Ces documents attestent non seulement l’ingéniosité de cette forme contemporaine d’humour graphique, mais aussi, de façon plus générale, la vitalité de la culture numérique et son caractère éminemment visuel. La collection met ainsi en évidence un processus qui est à l’œuvre dans l’ensemble des pratiques de communication actuelles : l’iconicisation du discours, qui suit une évolution parallèle à celle de la « digitalisation » de l’information et de la communication (Gunthert, 2009).

L’usage du numérique a par ailleurs profondément modifié les pratiques informatives dans les secteurs de l’éducation –qu’elle soit primaire, secondaire ou supérieure. Les mesures de confinement ont imposé à marche forcée la transformation numérique de l’enseignement. Élèves, familles et corps enseignant ont dû s’adapter à « l’école à la maison », au « distanciel » et à la « visio », tout comme les salariés au « télétravail ». Une large enquête portée par des chercheurs d’Aix-Marseille Université a permis de documenter, en temps réel, ces bouleversements des conditions d’apprentissage, mais aussi le vécu des élèves et des étudiants, ainsi que les différentes stratégies d’adaptation des pratiques documentaires qu’ils et elles ont mises en place durant les confinements (documents 10, 11, 12 et 13).

Ces usages informationnels des technologies numériques posent au demeurant des problèmes méthodologiques pour l’historien. Quelles sources utiliser pour faire une histoire immédiate de l’information pendant la crise du Covid-19 ? Comment garder la mémoire des innombrables contenus échangés sur internet durant cette pandémie ? Des initiatives telles que celle de l’International Internet Preservation Consortium ou du projet WARCnet, consacrées à l’utilisation des archives du web comme source pour une histoire transnationale, ont impulsé l’étude des traces en ligne de la pandémie. Les documents 14, 15, 16 et 17 permettent d’appréhender la production discursive numérique de cette crise sanitaire au regard de dynamiques préexistantes, autant que d’interroger la mémoire de l’événement en train de se faire.

Dans le contexte d’isolement social qui a été celui des confinements, où le contact physique avec autrui au sein d’espaces publics a été rompu, nos écrans sont devenus nos seules fenêtres sur le monde. Mais internet et les réseaux sociaux numériques ont aussi, paradoxalement, permis de faire résonner à l’échelle planétaire des micro-interventions citoyennes dans l’espace public. La rue a fini par « reprendre ses droits », par exemple sous la forme de banderoles de balcon (document 9), ersatz confinés de manifestations publiques, ou encore au moyen du vocabulaire graphique du street art (documents 18, 19 et 20). Relayées sur les réseaux et devenant virales à leur tour, ces images mettent en perspective, par leur pratique de l’intericonicité, les imaginaires visuels traditionnels et numériques des épidémies, nous rappelant que nos représentations de cette crise sont le fruit d’une longue histoire, et d’une constante resignification.

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