Leur conclusion sur le caractère contagieux de la maladie satisfit pleinement le plus haut responsable politique et administratif de la principauté car il justifiait pleinement les mesures drastiques d’isolement qu’il avait prises et avaient suscité nombre de critiques, et même une tentative de résistance par la force de la part de la population qui avait contraint à prendre la fuite celui qui était considéré comme le principal responsable des dispositions prises en la matière, le docteur Badía.
En revanche, l’ensemble du corps médical espagnol fut loin de partager l’opinion de leurs collègues français. Et lorsque le docteur Manuel Hurtado de Mendoza, lui-même anti-contagioniste convaincu, fit paraître leur « avis officiel sur la maladie » qui avait ravagé Barcelone dans les Décadas médico-quirúrgicas y farmaceúticas, publiées sous l’égide de la Société de médecine de Madrid, il fit suivre leur texte d’une lettre à ses collègues français du médecin barcelonais, Francisco Piguillem, qui tout en leur témoignant le plus grand respect pour le travail effectué, réfutait vigoureusement leurs conclusions.
Cette publication dans l’une des trois revues médicales que comptait alors l’Espagne (les deux autres paraissant à Cadix et à Barcelone) marqua le début d’une campagne de réfutation de la thèse des médecins français qui prit parfois des allures de bataille de chiffonniers (voir le document n° 16). Pour pouvoir statuer en toute connaissance de cause sur le projet de loi sanitaire qui leur était soumis, les Cortès décidèrent de solliciter l’avis des principales sociétés médicales du royaume (voir le document n° 20). Mais ces consultations ne firent que mettre en évidence l’incertitude dans laquelle était plongé le corps médical puisque, par exemple, à Barcelone, huit membres de l’Académie de Médecine de la ville se prononcèrent en faveur du caractère exotique et contagieux de la fièvre jaune, contre quatre et deux abstentions pour son caractère indigène et six pour sa non-contagiosité.
Assurément, la médecine était loin d’être une science exacte et cette incapacité des médecins à trancher sur l’origine et la nature de l’épidémie qui avait sévi en Catalogne finit par exaspérer l’opinion publique espagnole qui, à diverses reprises, dénonça dans la presse des disciples d’Esculape plus propres à polémiquer et à percevoir « la piècette » due pour leurs consultations qu’à guérir les malades.
]]>Les scènes de la vie quotidienne dans une ville qui, selon la légende placée en dessous de la gravure, n’était plus qu’un « immense tombeau » sont en revanche plus conformes à la réalité. On y voit effectivement des malades extrêmement affaiblis qui prennent l’air sur le pas de leur porte et reçoivent des soins de la part de leurs proches et de prêtres et religieuses qui exposent ainsi leur propre vie pour venir en aide à leurs prochains ; un homme foudroyé par le mal en pleine rue et qui reçoit, en présence de sa femme éplorée, des soins sans doute d’un médecin (encore que la fièvre jaune étant une affection évolutive, la mort n’intervenait que plusieurs jours après l’apparition des premiers symptômes, généralement chez soi ou à l’hôpital) ; des cadavres abandonnés qui jonchent le sol ; des brancardiers qui conduisent les défunts au cimetière, effectivement situé en bordure de mer (même si, sur cette gravure, les porteurs de civières prennent des chemins différents, ce qui n’est guère logique) ; et enfin le détachement de soldats qui croisent la baïonnette devant un groupe de civils.
Ces militaires font évidemment partie du premier cordon sanitaire chargé d’empêcher toute communication entre Barcelone et l’extérieur. Mais qui sont ces hommes dont deux d’entre eux sont munis d’armes blanches, sabres ou épées ? Ce détail pourrait suggérer qu’il s’agit de contrebandiers récemment débarqués sur la côte et prêts à en découdre avec la troupe. Mais il pourrait aussi s’agir de Barcelonais qui, voulant fuir les horreurs quotidiennes qui les entourent, tentent de sortir de la ville de vive force, au péril d’une vie qu’ils savent de toute façon condamnée.
]]>Les publications sur cette question se multiplièrent et firent l’objet de multiples annonces et comptes rendus comme ceux de Lassis (qui se rendit à Barcelone quand Pariset et ses compagnons rentrèrent en France, c’est-à-dire, quand l’épidémie était pratiquement terminée) et Rochoux, tous deux anticontagionistes, que l’on trouve dans le numéro du 5 février 1822 de la Gazette de santé partiellement reproduit ci-dessus.
Outre l’étude sur la fièvre jaune qu’il avait pu observer aux Antilles à laquelle il est fait référence dans cet article, Rochoux publia à Paris, au début de 1822, des Recherches sur la fièvre jaune dans lesquelles, bien qu’il se fût séparé de ses collègues dont il ne partageait pas le point de vue sur l’origine et les causes de la propagation de l’épidémie, il continua à se présenter comme « l’un des médecins français envoyés par le gouvernement à Barcelone ». La Gazette de santé reconnût que son travail méritait considération. Mais Rochoux pâtit grandement de la réputation de lâcheté qu’il avait acquise en abandonnant ses compagnons pour, dit-on alors, fuir le péril et renter en France. En fait, après avoir annoncé qu’il se rendrait à Tortosa, il resta à Barcelone où il se livra lui aussi, à l’écart de ses confrères, à des observations sur l’épidémie. Mais ne se releva jamais de ce qui fut unanimement considéré comme une véritable désertion, tant par le monde médical que par l’ensemble des Français.
Malgré les multiples controverses dont cet article de la Gazette de santé n’est qu’un exemple parmi bien d’autres, la théorie de la contagiosité de la fièvre jaune soutenue par les docteurs Bally, François et Pariset dans le rapport qu’ils adressèrent au ministre de l’Intérieur dès leur retour en France en janvier 1822, et dans leur Histoire médicale de la fièvre jaune observée en Espagne, et particulièrement en Catalogne, en 1821, parue l’année suivante ainsi que par Audouard dans sa Relation historique et médicale de la Fièvre jaune qui a régné à Barcelone en 1821 (Paris 1822) convainquit en France la majorité du corps médical. Du moins jusqu’en 1827 date à laquelle l’Académie royale de médecine (dont Bally et François étaient membres et Pariset avait été nommé par le roi secrétaire perpétuel), au terme de séance houleuses consacrées à l’examen d’une étude extrêmement minutieuse de la fièvre jaune dans le monde réalisée par le docteur Chervin, proclama officiellement le caractère non-contagieux de cette maladie.
]]>URN : https://mdz-nbn-resolving.de/urn:nbn:de:bvb:12-bsb10054486-8
]]>Le mérite d’une telle initiative revint au journal ultra La Quotidienne qui, pour une fois, fut approuvé (non sans ironie) par son rival libéral Le Miroir qui, le 4 novembre 1821, fit paraître cet entrefilet : « GRAND MIRACLE !!! La Quotidienne contenait hier une proposition noble et généreuse : c’est de faire frapper une médaille aux médecins français qui se sont rendus en Catalogne et dont l’héroïque dévouement doit passer à la postérité ». Pour cela fut lancée une souscription dont les modalités furent les suivantes : quiconque aurait versé une somme d’au moins 5 frs. se verrait remettre un modèle en bronze de la médaille et ceux qui auraient fait un don de plus de 20 frs. un modèle en argent, tandis que les noms de tous les donateurs seraient publiés dans le journal.
Pour assurer la régularité des opérations, on créa une commission à laquelle participa Chateaubriand. Il fut précisé que « l’excédent de montant de la souscription, après le prélèvement des frais des médailles et de leurs modèles, serait employés à secourir les Français indigents qui se trouvaient en ce moment à Barcelone ». Le Drapeau blanc (journal royaliste) s’associa à l’initiative de La Quotidienne dont rendirent compte avec enthousiasme La Bibliothèque de famille et la Gazette de santé. A l’étranger la Gazette universelle d’Hesse-Cassel, en Westphalie, non seulement signala le fait à ses lecteurs, mais collecta les souscriptions que ceux-ci voulurent bien lui adresser. La Quotidienne reçut ainsi 527 dons, provenant parfois de lecteurs regroupés, pour un montant total de 5071 francs auxquels vinrent s’ajouter 99 francs déposés par 11 personnes au bureau de la Gazette universelle de Hesse-Cassel. La plus faible participation fut d’un franc, versé par un chef de service au ministère de la Guerre; la plus forte (500 fr.) celle du Ministre de l’Intérieur. La Quotidienne avait ainsi mobilisé presque un de ses abonnés sur huit. Mais on peut s’étonner de l’absence parmi les donateurs de célèbres ultra-royalistes, comme Victor Hugo (qui ne suivit pas en la circonstance l’exemple de son frère Abel) et du peu d’ecclésiastiques qui apportèrent leur obole (sept au total, dont un évêque qui garda l’anonymat, l’aumônier du roi, l’abbé de Bouves, et celui de la duchesse de Berry, l’abbé de Chevanne). Mais à cette remarque près, toutes les classes de la société, tous les états et toutes les catégories sociales répondirent à l’appel de La Quotidienne pour honorer les médecins de la commission médicale envoyée à Barcelone et les sœurs de la charité qui les avaient rejoints.
]]>Ainsi, en Espagne, un peintre exposa-t-il doctement dans la presse les critiques qu’il formulait contre les fumigations censées purifier l’air. En France, un capitaine d’artillerie du nom de Dutertre eut le front d’adresser, en novembre 1821 aux « médecins français envoyés en Espagne » une lettre qu’il publia l’année suivante pour leur expliquer l’origine du mal qu’ils étaient chargés d’observer et les moyens de le combattre efficacement. Pour lui, tout était simple : la maladie provenait de ce que ceux qui en étaient atteints ne s’étaient pas assez baignés, s’étaient mal nourris, en n’ayant pas le soin de manger à leur dîner des viandes chaudes rôties, et de boire du vin d’autant meilleur et en moindre quantité que l’air était plus chaud. Et pour ceux qui n’avaient pas usé de ce « préservatif très sûr » et avaient contracté la maladie, il suffisait d’appliquer « un remède très sûr », qu’il voulait bien divulguer, et qui consistait à « laisser agir ce feu de la vie qui fait et purifie le sang jusqu’à ce que le fiévreux, qui ne doit rien prendre […] ait senti dans tout son corps une forte chaleur intérieure, qu’il ait apaisée, si elle est trop gênante, en se lavant les mains, la figure et même tout le corps avec du vin et du miel ».
Ce ne sont là que deux exemples tirés de la littérature paramédicale de l’époque, et l’on peut se douter que la fièvre jaune fut l’objet de maintes discussions dans les tavernes, dont le nombre de clients fut restreint, mais qui ne furent pas fermées pendant l’épidémie.
Médecins français et espagnols répondirent généralement par un silence méprisant aux propos tenus par ceux qui n’avaient pas été adoubés par la Faculté. Ils firent toutefois une exception en faveur de l’un d’entre eux, le chef d’escadron Moreau de Jonnès, qui, comme le capitaine Dutertre, avait pu voir les ravages de la fièvre jaune aux Antilles et publia plusieurs ouvrages sur les observations qu’il avait pu y faire, parmi lesquels celui, paru en 1820, dont la page de titre est reproduite ci-dessus. Pour disparate qu’elle fût, la liste des institutions savantes (parfois prestigieuses) auxquelles il avait été admis prouvait le sérieux des travaux très divers auxquels se livrait ce militaire et ses publications sur la fièvre jaune devinrent rapidement des ouvrages de référence dans la bibliographie sur cette maladie. Sa réputation de spécialiste fut telle que la rumeur circula même que le gouvernement français songeait à l’envoyer se joindre aux médecins mandés à Barcelone. Mais, à l’exception de ce cas fort exceptionnel, les prises de position des spécialistes autoproclamés ne firent qu’ajouter à l’inquiétude d’une opinion publique troublée par l’extrême confusion qui régnait parmi les hommes de l’art sur l’origine et le développement de l’épidémie et la façon d’en venir à bout.
]]>
La majorité des députés se refusa toutefois à se prononcer sur des considérations exclusivement politiques et préféra s’en tenir (au moins en apparence) à des critères strictement médicaux. Aussi l’assemblée demanda-t-elle officiellement l’avis de sociétés savantes comme les académies ou écoles de médecine de Barcelone, Cadix et autres lieux généralement affectés par des épidémies de fièvre jaune. La commission médicale créée en son sein se chargea donc de présenter aux députés la synthèse des réponses obtenues, ainsi que l’opinion d’éminents médecins anticontagionistes comme l’Espagnol Alonso de María ou le Français Devèze qui exercèrent un véritable lobbying auprès des Cortès, érigées en la circonstance en comité national scientifique dans un domaine où fort peu de ses membres avaient une quelconque compétence.
Lorsqu’il vint fort tardivement en discussion devant les Cortès ordinaires de 1822-1823, sous le gouvernement de San Miguel, les 19 et 20 novembre 1822, ce projet de loi sanitaire fut purement et simplement rejeté. On était loin de l’harmonisation en la matière entre les législations française et espagnole dont avaient rêvé certains.
]]>Ces mesures, et notamment le recours à la force armée, pour empêcher tout individu de sortir de la zone contaminée et ainsi propager la maladie hors de celle-ci, étaient d’ailleurs jusque-là systématiquement appliquées en l’absence de tout cadre légal par les autorités aussi bien en France (où le département de l’Oise où s’était déclarée une épidémie de suette picarde fut coupé pour ce motif du reste du royaume en 1820) qu’en Espagne où Cadix, en 1819, puis Barcelone et Tortosa en 1821, pour cause de fièvre jaune, furent également encerclées par la troupe qui ne laissa entrer ou sortir personne de ces villes. Toutefois, l’établissement d’un « cordon sanitaire » tout le long des Pyrénées, pour préserver la France de ce mal suscita ce que Louis XVIII, dans son discours d’ouverture de la session de 1822 des chambres des pairs et des députés qualifia de « médisance », c’est-à-dire de virulentes critiques parmi les libéraux qui crièrent (non sans motif) à l’utilisation politique d’une mesure prétendument sanitaire.
Pour faire cesser de telles critiques, le gouvernement ultra dirigé par Villèle fit adopter cette loi après des débats qui, dans les deux assemblées, firent une très large place aux arguments médicaux assénés avec force par des parlementaires qui se réclamaient, selon leur appartenance politique, du rapport des membres de la commission sanitaire mandée à Barcelone en 1821, ou des travaux de leurs adversaires anticontagionistes, qui comptaient dans leurs rangs quelques sommités médicales comme le docteur Devèze. Sans surprise, ce texte, qui n’avait évidemment suscité en novembre 1821 aucune critique lors de sa présentation à la chambre des pairs, entièrement nommée par le souverain, fut approuvé par les députés le 22 février 1822 par 219 voix contre 89 conformément à la répartition des sièges entre la droite (royalistes et ultra) et la gauche (libéraux) de l’assemblée.
]]>L’un des plus virulents tenants de la thèse anticontagioniste fut le docteur Jean Leymerie. Cet ancien médecin-chef de l’hôpital Saint-Jacques à Paris, avait renoncé à la nationalité française pour devenir citoyen des Etats-Unis d’Amérique et s’était installé à Madrid où il exploitait une société de bains. Ardant libéral, il avait publié en 1820 un ouvrage intitulé La medicina constitucionalizada y revolucionada por las ciencias exactas o la muerte de los falsos médicos (la médecine constitutionalisée et révolutionnée par les sciences exactes ou la mort des faux médecins) qui ne laissait aucun doute sur son engagement politique. Malgré cela, et bien qu’il ne fût plus sujet de S. M. Louis XVIII, il obtint en octobre 1821 de l’ambassadeur de France en Espagne, le comte de Lagarde (qui ne tarda guère à se repentir de sa décision) des fonds qui lui permirent de rejoindre les médecins envoyés à Barcelone pour observer l’épidémie de fièvre jaune qui s’y était déclarée.
S’il prétendit avoir assisté jusqu’à son ultime soupir le docteur Mazet, victime selon lui « du grand Pariset » (alors qu’il n’arriva à Barcelone que quelques jours après le décès de son jeune collègue), ses rapports avec les « médecins du roi de France » (comme on les qualifia parfois) furent exécrables, notamment avec Pariset qui lui aurait déclaré, à bout d’arguments, qu’à tout ce qu’il dirait, ils déclareraient, eux, que cela n’était pas vrai et que l’on les croirait, eux, et pas lui.
Il attendit le départ de Barcelone des membres de la commission sanitaire française de retour en France pour publier, en janvier 1822, l’opuscule intitulé Protesta del médico fiscal… dont on peut voir ci-dessus la première page. Se disant abusivement avoir été commissionné par la France et les Etats-Unis d’Amérique pour observer l’épidémie qui sévissait à Barcelone il s’en prenait violemment à ses collègues et notamment à Pariset qu’il accusait (non sans raison) d’avoir accompli une mission plus politique que médicale. Cet ouvrage eut d’autant plus de retentissement que le secrétaire du consulat de Barcelone y répondit dans une longue réfutation publiée dans un supplément au Diario de Barcelona qui eut surtout pour effet d’attirer l’attention du grand public sur un opuscule dont, sans cela, il n’aurait jamais eu connaissance. L’ouvrage resta ignoré en France, mais contribua en Espagne (malgré les nombreux honneurs qui leurs furent rendus) à dégrader l’image des membres de la commission sanitaire française et est l’exemple le plus achevé des luttes qui divisèrent alors le corps médical.
]]>Les périodiques de toutes les opinions bénéficièrent de telles communications qui parfois furent faites simultanément à des organes de presse de tendances diamétralement opposées (comme ce fut notamment le cas de la lettre de Pariset à son épouse en date du 24 octobre 1821 annonçant le décès de Mazet qui parut simultanément le 4 novembre dans Le Constitutionnel et Le Courrier français –libéraux– ainsi que Le Journal des débats –ministériel– et Le Journal de Paris, ultra). Par ailleurs, selon l’usage du temps, les feuilles qui n’avaient pas bénéficié d’une telle largesse ne manquèrent pas de reprendre dans leurs colonnes (en en citant ou non la provenance) les textes publiés par leurs confrères. C’est ainsi que certaines de ces missives comme celle qu’envoya son mari à Mme Pariset le 26 octobre 1821, figurèrent dans des publications aussi diverses que la Gazette de santé, Le Journal des débats, Le Courrier français, Le Journal de Paris, Le Constitutionnel, Le Moniteur Universel, le Journal du Cher, et Le mémorial bordelais.
Les membres de la commission sanitaire envoyée à Barcelone par le gouvernement français devinrent ainsi les correspondants de presse de leur propre mission, ce qui donna à leurs témoignages une marque d’authenticité auquel les lecteurs n’étaient guère habitués à une époque où il était notoire que bon nombre des « lettres particulières » (notamment en provenance de l’étranger) étaient écrites dans les locaux mêmes du journal qui prétendait les avoir reçues.
Cette correspondance, qui tint en haleine la France entière anxieuse du sort réservé aux autres médecins après la mort du jeune Mazet contribua amplement à forger la légende de leur dévouement dans la lutte de ce que l’on ne tarda pas à appeler la « peste » de Barcelone.
]]>La lithographie de Langrume reproduite ci-dessus ne correspond nullement à la réalité car les médecins pénétrèrent dans une ville déserte et les religieuses n’arrivèrent que plusieurs jours après eux, début novembre. Mais, dans l’opinion publique, leurs sorts furent associés, et le dévouement de ces faibles femmes, mues uniquement par l’amour de Dieu et du prochain, fut souvent l’objet d’une admiration encore plus vive que celle dont furent l’objet les médecins eux-mêmes.
En réalité, leur rôle fut assez effacé : l’une d’elle (sœur Saint-Vincent) atteinte de la maladie, ne sortit pas du consulat de France à Barcelone, et l’autre fut affectée à l’hôpital du Séminaire où, selon le docteur Audouard, les risques de contagion étaient moindres qu’en ville.
Grâce, notamment, à la publication dans la presse des lettres que sœur Saint-Vincent adressa à leur supérieure, ces religieuses n’en acquirent pas moins une gloire prodigieuse qui fit d’elles des héroïnes de romans comme La Sœur de Saint-Camille ou la Peste de Barcelone du chevalier de Propiac (Paris, 1822) et Les Sœurs de Saint-Camille ou Lettres de Julie à Sophie du chevalier Blanc-Saint-Bonnet (Paris, 1823) tandis que les poètes leur prodiguaient louanges et hommages. Ainsi, cette congrégation, dont on ignorait jusque-là jusqu’au nom (puisque l’on parla généralement de l’ordre de Sainte-Camille) et qui ne figurait pas parmi la liste de celles qui étaient établies à Paris publiée par l’Almanach ecclésiastique ou l’Almanach du clergé, acquit ainsi du jour au lendemain une célébrité qui lui permit, grâce à l’abondance des dons qui lui furent adressés, d’échapper à une faillite imminente. Cette retombée financière du dévouement de ces religieuses poussa même un abbé indélicat, nommé Méricot, à prétendre quêter pour elles, alors qu’il gardait par devers lui le produit de sa collecte, provoquant la dénonciation indignée dans les journaux de la supérieure et la réprobation unanime des sujets de S. M.
]]>De Monsieur, le comte d’Artois, frère du roi, qui fit parvenir à la mère du défunt une somme de 2 000 francs pour l’aider à subvenir à ses besoins, au modeste employé qui contribua pour quelques francs à l’une des collectes qui furent organisées en faveur de celle dont le fils avait sacrifié sa vie en soignant ses semblables ou pour ériger un monument en mémoire de ce héros, chacun voulut contribuer à rendre hommage à son abnégation.
Les hommes de lettres (surtout les poètes, mais aussi des romanciers) en firent un héros national et peintres et dessinateurs ne furent pas en reste. C’est ainsi qu’au salon de peinture de 1822, le public put contempler deux œuvres ayant pour thème la mort de « l’infortuné Mazet », l’une de Xavier Le Prince, l’autre d’Augustin Vinchon dont fut tirée la gravure publiée en hors-page dans les Annales du Musée et de l’école moderne des Beaux Arts. Salon de 1822 reproduite ci-dessus.
La scène, imaginée par l’artiste à partir de ce qui fut rapporté dans les journaux, contient des éléments sinon réels, du moins plausibles, comme la présence de deux femmes voilées dont l’une tient dans ses bras le moribond (les sœurs de l’ordre de Saint-Camille venues se mettre au service des membres de la commission sanitaire) et du jeune homme effondré de désespoir au pied du lit (le journaliste Bousquet-Deschamps, qui s’était réfugié en Espagne pour échapper à la rigueur de la justice et s’était lui aussi mis à la disposition des « médecins du roi de France » comme on disait alors). En revanche, celle, sur le pas de la porte, d’un prêtre portant le viatique accompagné d’un enfant de chœur ne relève que de la volonté de l’artiste de rendre plus édifiant encore le trépas de Mazet car aucun témoin des derniers jours de celui-ci n’a rapporté qu’il avait rendu l’âme muni des sacrements de l’Eglise. En outre, on observe avec quelque étonnement la présence, dans une pièce contiguë, d’une femme en train de se reposer et surtout l’absence des autres médecins de la commission : Pariset (qui affirma avoir assisté son malheureux disciple jusque dans ses derniers moments), Bally ou François.
L’œuvre n’en connut pas moins un vif succès auprès du public, sans convaincre toutefois la critique de sa qualité. Ainsi L’Observateur et Arlequin aux Salons après avoir rendu compte de cette toile et de celle de Bessalière intitulée Les médecins français à Barcelone, déclara sans ambages : « Il y a toujours du mérite pour un peintre à rappeler des traits qui honorent sa nation et l’humanité ; aussi, quoique ces deux derniers tableaux laissent à désirer sous le rapport de l’exécution, ils doivent cependant attirer à leurs auteurs les suffrages du public. » Rendre hommage à la mémoire de Mazet pouvait être un devoir pour un artiste ; c’était surtout une garantie de succès.
]]>Peu après leur arrivée, alors que le docteur Rochoux, horrifié par l’ampleur du fléau, se sépara de ses compagnons, sans toutefois prendre, comme on le crut alors, le chemin du retour. Mazet succomba à la maladie qu’il avait contractée en visitant un malade, bouleversant l’opinion publique française par son sacrifice (cf. document n° 9).
Tandis que Rochoux fut présenté dans la presse comme un déserteur, ses confrères furent encensés comme des héros au service de l’humanité et eurent droit à la consécration suprême de l’époque : voir leurs portraits ou leurs faits et gestes reproduits dans des gravures que collectionnaient les classes moyennes pour en faire des albums ou en tapisser les murs de leurs demeures.
L’estampe ci-dessus, réalisée par Besselière en 1821 (tandis que les médecins français se trouvaient à Barcelone) et lithographiée par Engelmann, représente au premier plan les docteurs Bally, François et Pariset et, à l’arrière-plan, le docteur Audouard, réalisant l’autopsie d’un cadavre en présence de quelques personnes. En revanche, elle ne fait pas état des deux religieuses de l’ordre de Saint-Camille, d’un étudiant en chirurgie de Montpellier, Jouarry, ainsi que d’un jeune journaliste qui avait fui la France pour échapper aux diverses peines auxquelles il avait été condamné pour motifs politique, Lucien Bousquet-Deschamps, qui s’étaient mis à la disposition des médecins pour soigner les malades et, à ce titre, avaient pleinement intégré la commission sanitaire comme le reconnut d’ailleurs le gouvernement en faisant voter par les chambres, en 1822, (sauf pour Bousquet-Deschamps) une pension viagère destinée à récompenser leur dévouement.
La scène est censée se passer au consulat de France à Barcelone où Pariset, Bally et François s’étaient installés mais le décor représenté (d’un grand, voire trop grand classicisme) est sans doute dû à l’imagination du dessinateur, qui prit également quelque liberté en montrant en arrière-plan (sans doute pour ménager la sensibilité du public) la dissection d’un corps par Audouard alors que celui-ci ne pratiqua les nécropsies qu’à l’hôpital du Séminaire. Mais ce serait une erreur de voir une critique à l’égard des trois médecins qui discourent tandis que le quatrième se livre, peut-être au péril de sa vie, à cet examen clinique post mortem : comme l’indique le titre de la lithographie, il s’agissait de rendre hommage à l’ensemble des membres de la commission. Et de rien d’autre.
]]>Notice du catalogue (recueil)
Notice n° : FRBNF41510989
Document numérique: IFN-694515
L’épidémie de fièvre jaune qui ravagea la Catalogne espagnole d’août 1821 à janvier 1822, fut effectivement l’un des sujets les plus fréquemment abordés par la presse pendant cette période et, de façon apparemment paradoxale, bien davantage en France qu’en Espagne à partir du début du mois d’octobre.
En effet, si les deux quotidiens de Barcelone (le Diario et le Diario constitucional) consacrèrent chaque jour une rubrique à l’état sanitaire de la ville, en fournissant les statistiques des morts, malades hospitalisés et convalescents et en publiant les mesures prises par les autorités pour lutter contre l’expansion du mal (cfr. document n° 3), les principaux journaux madrilènes à diffusion nationale (La Gaceta de Madrid ou El Universal, par exemple) ne firent, au mieux, état de la synthèse des statistiques des décès enregistrés qu’une fois par semaine et ne rendirent compte des dispositions sanitaires destinées à enrayer la propagation du fléau que dans la mesure où elles pouvaient affecter les habitants de la capitale du royaume. Quant à la presse régionale ou locale, elle manifesta une indifférence pratiquement totale à l’égard des terribles ravages causés par l’épidémie notamment à Barcelone et à Tortosa, et, par exemple, pendant toute la période où l’infection fit ses ravages dans la province voisine, le Diario constitucional de Zaragoza ne daigna informer ses lecteurs sur ce sujet qu’en une seule circonstance, lorsque l’épidémie atteint Mezquinenza, aux portes de l’Aragon.
Pour La Ruche d’Aquitaine, journal ultra si oncques en fut, ce manque d’information de la presse espagnole sur la situation sanitaire en Catalogne était dû à la volonté délibérée des libéralès d’éviter de rendre l’hommage qui leur était dû aux ecclésiastiques qui payèrent un lourd tribut en assistant les victimes de la maladie. L’explication est plus qu’hasardeuse et cette relative indifférence est sans doute due à deux phénomènes, nullement exclusifs l’un de l’autre : d’une part, l’accoutumance aux épidémies de fièvre jaune qui sévissaient très régulièrement dans le royaume, notamment en Andalousie ; et d’autre part, le souci de ne pas affoler l’ensemble d’une population déjà fort inquiète de l’évolution de la situation politique vers une guerre civile qui s’annonçait inévitable.
En France en revanche les journalistes trouvèrent de quoi faire pleurer Margot et flatter l’orgueil national quelque peu en berne depuis les défaites militaires de Napoléon en faisant de véritables héros des médecins envoyés par le gouvernement à Barcelone fin septembre 1821 pour déterminer l’origine de la maladie, observer son évolution et déterminer les moyens de l’enrayer, ainsi que des sœurs de l’ordre de Saint-Camille qui vinrent de Paris se mettre à leur service pour les aider dans leur tâche (voir documents 8, 9, 10, 11, 13 et 14).
]]>Une telle mesure n’avait rien d’exceptionnel et l’Espagne aussi eut recours à la force armée pour isoler les zones contaminées : non seulement les deux agglomérations les plus touchées par le fléau, Barcelone et Tortosa, furent entourées d’un double cordon, mais pratiquement toutes les villes de Catalogne furent encerclées par la troupe et la Catalogne fut coupée du reste du royaume sur ses frontières avec l’Aragon et le royaume de Valence par un dispositif militaire qui ne laissait passer que ceux qui pouvaient exhiber un passeport (que l’on appellerait de nos jours pass sanitaire) attestant qu’ils n’étaient pas atteints par la maladie.
En revanche, l’ampleur du dispositif mis en place en France (qui s’étendait de la Méditerranée à l’Atlantique, à presque 600 km du foyer de l’épidémie) et la présence de régiments d’artillerie parmi les forces chargées de la surveillance de la frontière, ne laissèrent aucun doute, pour les Espagnols et les libéraux français, sur le fait qu’il s’agissait en réalité de la mise en place d’une armée prête à intervenir à tout moment dans le pays voisin.
Louis XVIII, lors de l’ouverture des séances des chambres des pairs et des députés le 5 novembre 1821, protesta bien qu’il s’agissait uniquement de « précautions » destinées à préserver la France de la contagion, et que « seule la malignité pouvait leur attribuer d’autres causes ». Mais les ultra se réjouirent ouvertement d’une telle mesure destinée à empêcher que ne se répande en France la « peste révolutionnaire » comme le réclamait une chanson d’un certain M. T de Terrefort publiée en 1822 dans L’Anti libéral ou le Chansonnier des braves gens, et intitulée précisément « Le cordon sanitaire » :
« Craignons un fléau plus fatal
Que Mégère, que Tisiphone :
Le jacobin fait plus de mal
Mille fois que la fièvre jaune :
Faisons plus que réprouver
L’odieuse jacobinière,
Formons pour nous en préserver
Le cordon sanitaire. »
La surveillance de la frontière fut des plus rigoureuses, et, par exemple, à Pont-le-Roi (département de la Garonne) un pauvre mendiant espagnol qui avait déjà tenté de passer en France fut abattu par une sentinelle pour ne pas s’être arrêté à son ordre. Et, selon un député aux Cortès, des marins des îles ioniennes débarqués clandestinement sur le littoral près de Collioure furent passés par les armes, sans autre forme de procès.
Mais cette sévérité dans l’application de la consigne m’empêcha pas le gouvernement d’avoir quelques inquiétudes sur l’attitude des militaires qui composaient le cordon sanitaire puisqu’il dut, au Boulou, faire relever la garnison du fort de Bellegarde qui avait fraternisé avec les militaires espagnols qui leur faisaient face de l’autre côté de la frontière… et se vit dans l’obligation, pour le même motif, de remplacer presque immédiatement les nouveaux arrivants. De tels faits suscitèrent bien des espoirs parmi les libéraux, espagnols et français. Mais cela n’empêcha pas les troupes françaises de rester fidèle aux Bourbons et, juste avant de franchir la Bidassoa, de tirer à mitraille sur leurs anciens camarades passés au service de l’Espagne constitutionnelle qui, en arborant le drapeau tricolore, tentaient de les débaucher.
]]>Pour assurer la plus grande diffusion auprès de l’ensemble des citoyens de la réponse que lui fit ledit gouverneur ecclésiastique qui l’assura qu’il avait signifié aux prêtres du diocèse d’employer tout leur zèle à persuader les fidèles que les malheurs qui affligeaient Barcelone et Tortosa n’étaient pas dus au changement de régime politique, mais à la dépravation des mœurs qui avait provoqué la colère divine, le chef politique fit publier ce texte le même jour (23 octobre 1821) aussi bien dans le Diario de Barcelona que dans le Diario Constitucional de Barcelona dont est tiré le cliché reproduit ci-dessus.
La dénonciation de la prétendue impiété des libéraux –alors que la Constitution de la monarchie espagnole affirmait, dans son article 12, que la religion catholique, apostolique et romaine était et serait à jamais la seule tolérée dans le royaume et qu’elle était protégée par des lois justes et sages– fut l’un des arguments les plus efficaces pour discréditer le régime constitutionnel de ceux utilisés par les absolutistes qui, en la circonstance firent feu de tout bois. Ainsi propagea-t-on la rumeur que, depuis la suppression de l’Inquisition, le nombre de sorcières avait considérablement augmenté et, dans son premier numéro, daté du 9 octobre 1821, le Diario de Urgel (organe de presse de la contre-révolution politique et militaire) n’hésita pas à affirmer –contre toute vérité– que le cri de guerre des troupes constitutionnelles était « à bas Dieu, la Vierge, el roi et vive le diable ! »
De telles billevesées ne furent pas l’apanage des serviles espagnols puisque qu’en France un journal ultra comme La Quotidienne déclara lui aussi que la « peste » qui sévissait en Catalogne était un châtiment divin provoqué par les bouleversements politiques apportés par l’établissement du régime constitutionnel en Espagne.
]]>Comme on peut le voir sur la page du Diario Constitucional de Barcelona du 31 octobre 1821 reproduite ci-dessus, ce bulletin sanitaire précisait, pour Barcelonette et Barcelone le nombre de malades, d’entrées et de sorties enregistrées dans les hôpitaux, de convalescents et de morts. Ces chiffres officiels, qui permettaient à la population de se faire une idée de l’évolution de l’épidémie, étaient toutefois inférieurs à la réalité car ils étaient établis sur les déclarations des médecins, et ne prenaient pas en compte les malades qui ne pouvaient faire appel à eux pour des raisons financières et dont les cadavres étaient abandonnés dans les rues en attendant d’être ramassés pêle-mêle dans le chariot qui les conduirait au cimetière.
Ce caractère manifestement lacunaire du nombre des victimes de la fièvre jaune fourni par la Junta de sanidad de Barcelona à travers la presse locale n’empêcha pas les protestations de ceux qui, au nom de la liberté du commerce et d’entreprise, réclamaient l’abrogation des mesures d’isolement imposées à la population (comme l’établissement d’un cordon sanitaire autour de l’agglomération de Barcelone) et crièrent à la surestimation volontaire, appuyés en cela par quelques médecins dont le Français naturalisé citoyen des Etats Unis d’Amérique Jean Leymerie, qui prétendait « constitutionnaliser la médecine » (voir document n° 16).
Au-delà du caractère parfaitement infondé de ces protestations, le fait est que la presse joua un rôle prépondérant, voire unique, dans la diffusion des diverses mesures prises pour endiguer l’épidémie de fièvre jaune et améliorer le sort des habitants (fermeture du port ; création d’une soupe populaire pour les indigents de Barcelonette ; prohibition des bains de mer de jour à la plage de Santa Madona ; interdiction -pas toujours respectée- faite aux médecins de quitter Barcelone ; obligation aux notaires de prendre les testaments des malades ; limitation du nombre des clients dans les cafés etc.). Naguère, sous l’Ancien Régime, ces informations auraient été diffusées du haut de la chaire dans les églises par un clergé sur lequel les autorités constitutionnelles ne pouvaient plus compter car, parmi les dispositions prises pour limiter la diffusion de la maladie, figurait la recommandation de ne pas assister aux cérémonies religieuses, qui, par la concentration de fidèles, constituaient de redoutables « clusters », comme nous disons de nos jours.
]]>Les affaires ne perdant jamais leurs droits, les terrains susceptibles d’accueillir cet hébergement provisoire furent immédiatement l’objet d’une forte spéculation dès que ce projet fut rendu public. Les autorités politiques n’en firent pas moins construire un grand nombre de baraquements, représentés quelque peu naïvement sur ce dessin de Maurin, lithographié par Villain de Sèvres, publié comme illustration de l’ouvrage (fort bien documenté) intitulé Relation historique des malheurs de la Catalogne ou Mémoires de ce qui s’est passé à Barcelone en 1821, paru à Paris en 1822 par l’archiviste de la préfecture des Pyrénées-Orientales, D. M. J. Henry.
Quelque 1 500 personnes purent être ainsi hébergées et les membres de la commission sanitaire française envoyés pour observer l’épidémie songèrent à s’installer dans ces constructions provisoires mais préférèrent finalement continuer à bénéficier du confort douillet de l’hôtel du consulat de France à Barcelone. Contrairement à ce que d’aucuns auraient pu espérer, personne ne put profiter de ce changement provisoire de domicile pour fuir la ville, car le cordon sanitaire, qui séparait jusque-là Barcelone de Monjuich fut déplacé pour englober dans sa surveillance ces habitations temporaires.
La population se montra tout d’abord rétive à habiter ces demeures, d’autant plus que des rumeurs circulèrent sur l’insalubrité du terrain sur lequel elles étaient construites. En particulier, les classes les moins aisées de la population (par choix ou par manque de moyens financiers ?) préférèrent rester dans leurs foyers, et continuèrent à être massivement exposées aux ravages de la fièvre jaune. Et quand, une fois l’épidémie sinon disparue, du moins en bonne voie d’extinction, la municipalité de Barcelone envisagea de vider la ville, quartier par quartier, de ses habitants pour procéder à un nettoyage systématique de la cité, elle proposa par voie d'affiche (voir ci-dessus) d’offrir une demi-piécette (deux réaux et demi, soit 50 centimes de franc, la moitié pour les nourrissons) et un demi-pain par jour et par personne pour convaincre les habitants les moins fortunés de participer à cette translation. Toutefois, les Barcelonais finirent par se convaincre de la protection qu’était censée leur apporter des demeures convenablement aérées : tous les bâtiments finirent par être occupés et l’on établit même un hôpital dans ce « petit village de chaume », comme le qualifia une correspondance particulière publiée par La Ruche d’Aquitaine au début du mois de décembre 1821.
Cette question de l’insalubrité des villes comme source de propagation des épidémies se posa également à Tortosa où pour éviter toute récidive, on envisagea de raser la ville en la faisant bombarder par la marine de guerre avant de finalement renoncer à ce projet.
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