Plaisanter de la peste : Anonyme, « Description des malheurs de la ville d’Aix, en vers provençaux »

Comme les pestes précédentes de 1580 ou de 1629, celle de 1720 a fait naître des pièces de vers. Le docteur Jean-Baptiste Bertrand les signale dès 1723 dans sa tentative d’ « histoire littéraire de notre peste » : il distingue les récits à caractère historique, comme le sien, les chroniques médicales et enfin les essais poétiques : « Les troubles et les désordres de la contagion, une désolation extrême et générale, une mortalité presque universelle, des événements bizarres et singuliers, tout étoit devenu un sujet bien digne de l’histoire. Une maladie aussi extraordinaire ne pouvoit donc qu’exciter la curiosité des médecins, et une aussi grande calamité fournissoit aux Poètes de grandes idées et de quoi exercer leurs talens. On vit donc dans ces premiers jours la Ville inondée de ces trois sortes d’écrits, qui ne servirent pas moins à divertir le public qu’ à l’amuser ». On nuancera cette dernière affirmation : le vers provençal (dialecte occitan), utilisé ici, permet alors aux alphabétisés une grande variété d’expression et en particulier un fin maniement de l’ironie dans la complainte, alors que la prose française ne leur offrait guère que les genres polémiques du libelle ou du pamphlet. À quelques exceptions près, ces pièces ont circulé de mains en mains. Elles sont presque toujours anonymes. Celle-ci est signée « B. ». Cet auteur n’a pu être identifié. Son expression dialectale est de qualité modeste, ce qui la rend facile à lire, et certains de ses vers ne sont pas très cohérents. Il est donc douteux qu’elle ait été écrite par un de ces lettrés du temps qui versifiaient en occitan par choix littéraire. L’option linguistique pourrait ici correspondre à la recherche d’un ton à la fois familier et parfois un peu moqueur à l’égard de soi-même, de la part d’un écrivant habitué sans doute à s’exprimer par écrit en français. La « langue vulgaire » pourrait aussi introduire une distance entre l’auteur (et ses lecteurs) et son propos par le décalage social qu’elle comporte. Ce texte est connu par deux copies manuscrites, l’une, d’une écriture du XVIIIe siècle, est dans un recueil factice de la bibliothèque de Marseille et a été publiée en 1997. Celle qui est reproduite ici se trouve dans le recueil sur la peste compilé au début du XIXe siècle par le commis marseillais Lazare Tours (1771-1841). Elle est d’une graphie plus aisée à lire et son transcripteur l’a mise dans une orthographe quasiment phonétique, plus proche de la façon dont elle a pu être prononcée. Le cas aixois est souvent cité comme un exemple de tentative de contrôle des méfaits de la contagion, d’abord par l’effort d’isolement de la ville et, lorsque la peste apparaît tardivement à l’automne de 1720, par le transport de tous les suspects dans des infirmeries et des hôpitaux pour convalescents ; puis en avril-mai 1721 par l’organisation de la quarantaine générale, la « serrade », qui n’allait d’ailleurs pas éviter une assez forte mortalité. Ces deux expériences étaient fondées sur le principe d’une forte intervention des autorités municipales dans la vie de leurs concitoyens, en particulier pendant la quarantaine générale qui impliquait l’approvisionnement des maisons en nourriture et eau. Seul celui des Aixois pauvres fut pris en charge par le conseil de ville, les autres habitants devaient payer immédiatement ou signer une promesse de paiement devant trois témoins. C’est cet aspect très coercitif pour les individus qui est fortement souligné par l’auteur, avant tout dans sa première phase d’isolement des suspects : il insiste sur la brutalité du personnel commis par le conseil de ville à la lutte contre le fléau ; il dénonce plus largement les inconvénients auxquels la « serrade » a donné lieu. Cependant, lorsqu’il observe que sont « pleines de fumier et de crasse » les aires du Pré-batailler (large espace situé à la porte des Augustins, lieu de promenade et de fêtes), il reconnaît implicitement qu’elles ne sont pas couvertes de cadavres. On ne signale guère en effet à Aix de scènes macabres comparables à celles que Marseille avait connues quelques mois plus tôt. Parce que la peste revêt ainsi à Aix moins explicitement qu’ailleurs l’aspect d’une tragédie collective, l’auteur semble particulièrement sensibles à la rudesse des rapports humains (« il semble que nous soyons devenus des ours ») et à l’éclipse des sociabilités respectueuses des statuts sociaux, qu’il évoque à la fin. La plupart de ses critiques et de ses remarques nostalgiques peuvent être recoupées par d’autres textes, où elles sont formulées en général de façon plus académique.]]>
Anonyme]]> Provence Historique, t. XLVII, fasc. 189, 1997, pp. 495-512 (édition du texte).]]> 1720-1721]]> Bertrand, Régis]]> occitan-provençal]]> Description des malheurs de la ville d’Aix, en vers provençaux, anonyme, 1720-1721, Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Belles-Lettres d’Aix-en-Provence.]]> France]]> XVIIIe s.]]>
Lettres champenoises, on estimait que « la prose s’envole ; la poésie reste », on ne tarda pas à chanter en vers l’Odyssée de ces médecins français et sœurs de Saint-Camille partis au péril de leur vie soigner les victimes de la « peste » qui ravageait Barcelone. Ainsi, dès le 22 novembre 1821 Léon Halévy, un jeune homme de 19 ans, lut à l’Athénée royal, une Epître aux médecins français partis pour Barcelone qui fut immédiatement imprimée et devait être le premier des multiples hommages rendus en vers à ces héros nationaux. Au début de 1822, l’Académie française décida que son prix de poésie de l’année suivante serait consacré au « dévouement des médecins français et sœurs de Sainte-Camille [sic] dans la peste [sic] de Barcelone ». Mais Louis XVIII, estimant qu’un tel délai risquait de faire retomber l’enthousiasme unanime suscité par ces sujets qui prouvaient au monde entier que l’héroïsme n’était pas réservé qu’aux militaires, décida de créer, sous l’égide de l’Académie, un concours spécifique qui serait remis en août 1822, et qu’il dota sur sa cassette, de 1 500 francs (l’équivalent d’un peu plus de que percevait en sept mois un colonel en demi-solde, alors que, par exemple, le prix le plus important accordé par les Jeux floraux de Toulouse, l’amarante d’or, n’était que d’une valeur de 400 francs). Quelque 130 poètes et rimailleurs (le quadruple du nombre habituel de concurrents à ce prix) adressèrent leurs œuvres quai Conti et la récompense échut à Edouard Alletz qui (la picaresque n’étant pas le propre que des Espagnols) trempa son manuscrit dans du vinaigre (le désinfectant de l’époque) faisant croire qu’il l’expédiait de Barcelone où il prétendait être né pour mieux émouvoir les académiciens. Sans avoir participé au concours de l’Académie française, d’autres poètes et rimailleurs firent imprimer le fruit de leur labeur, noyant la France sous un déluge d’alexandrins, avec leur lot de chevilles, hyperboles tremblotantes, poncifs en tous genres, voire de stupidité insigne comme lorsque, Bézout de Marmande, voulant pousser au paroxysme l’héroïsme de Mazet eut la niaiserie de s’exclamer :

Hommage aux sœurs de Sainte-Camille,
A Mazet, content de finir,
Et de laisser à sa famille
L’honneur d’un noble souvenir !

Comme le déclara l’auteur d’un compte rendu d’un ouvrage intitulé Manuel préservatif et curatif de la peste, suivi d’un précis sur la fièvre jaune paru dans le Journal complémentaire du dictionnaire des sciences médicales en 1822: « Il est rare qu’on laisse échapper l’occasion de faire de mauvais vers ou un mauvais livre ». Mais pour exécrables que fussent nombre d’entre eux, ils n’en contribuèrent pas moins à propager l’aura de ceux que l’on tenait de toutes parts pour des héros, ce qui constituait bien le seul point d’unanimité entre ses sujets dont pouvait se prévaloir Louis XVIII.]]>
Halévy, Léon]]>
Notice du catalogue
Document numérique: NUMM-6209192
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1821]]> Dufour, Gérard]]> Le dévouement des médecins français et des sœurs de Saint-Camille lors de la « peste » de Barcelone de 1821. Médecine, humanitaire et politique sous le règne de Louis XVIII (à paraître).]]> La peste à Barcelone : en marge de l'histoire politique et littéraire de la France sous la Restauration, New Jersey, Université de Princeton ; Paris, Presses universitaires de France, 1964, 102 p. + 5 p. de planches. http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb330437666]]> Dufour, Gérard, « Le dévouement des médecins français et des sœurs de Saint-Camille dans la peste de Barcelone de 1821: un modèle de communication réussie », communication présentée lors de la Journée d’études L’information à l’épreuve des crises sanitaires (France-Espagne, XVIII°s. - XXI°s.), MMSH, Aix-en-Provence, 27 novembre 2020.

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français]]> Epître aux médecins français partis pour Barcelone par Léon Halévy lue à la séance de l’Athénée Royal le 22 novembre 1821, Paris, imprimerie de A. Bobée, rue de la Tablerie n° 9, 1821, 15 p. in-8°.]]> France]]> Espagne]]> XIXe s.]]>
Diario de Madrid en date du 14 février 1810 où un sonnet (signé Josef María Carnerero) figure "à la une" et fait l'objet d'un traitement graphique particulièrement soigné.]]> Diario de Madrid
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Carnerero, Josef María]]> 1810-02-14]]> Larriba, Elisabel]]> La Poésie, vecteur de l’information au temps de la Guerre d’Espagne. 1808-1814, Aix-en-Provence, PUP, 2017, pp. 41-71.

Consultable sur HAL SHS : https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01795451]]>
espagnol]]> Diario de Madrid, 14 février 1810, n° 45, p. 177.]]> Espagne]]> XIXe s.]]>