Titre
Description
Peste soit du Covid ! Art urbain et pandémie
Cette image est la photographie d’une fresque murale réalisée par le street artist français Oré au mois d’avril 2020, en pleine période de confinement due à la pandémie de Covid-19. Cette œuvre de vaste dimensions, localisée à Caen, a également pu être vue sur les réseaux sociaux numériques : l’artiste a relayé sur ses comptes Twitter et Instagram des photos de l’œuvre en cours de réalisation (le 16 avril, avec une publication proposée ici en second document) puis le 20 avril, une fois terminée.
Ce post du 20 avril, montrant la fresque terminée, vue de face et sans la présence de l’artiste, est accompagné de cette légende : « Le masque du Docteur de Peste, d'après la gravure de P. Fürst datant du 17ème siècle. Appelé aussi "Docteur Bec". C'est l'origine du fameux masque de carnaval de Venise. De la peste au #COVIDー19... »
Ces commentaires indiquent donc quelle est la source d’inspiration directe de cette œuvre, qu’elle copie presque trait pour trait tout en la simplifiant : ne figure ici que la tête du « docteur peste », affublée de son masque en forme de bec d’oiseau (censé protéger des émanations toxiques), d’un vaste chapeau (dont on ne voit que le bord), de petites lunettes et d’un foulard noué autour du cou –autant d’accessoires supposés garantir l’étanchéité prophylactique de cette tenue, aussi légendaire que peu documentée historiquement (voir la description du costume du Médecin de peste dans la salle 1 cette exposition).
Le profil original est ici inversé de façon à ce que le regard du personnage soit orienté vers la droite, conformément au sens de lecture occidental. Le personnage semble donc regarder vers l’avenir, et on remarquera que le trait qui figure l’ouverture de son bec esquisse une sorte de demi-sourire où l’on peut percevoir, au choix, grimace ironique ou message d’espoir.
Par la monochromie en dégradés de noir, cette fresque évoque l’univers plastique de la gravure ; mais à la précision du trait gravé elle substitue les contours charbonneux dus aux reliefs de la paroi, et la figuration des ombres par de petits aplats successifs réalisés au moyen d’un étroit rouleau télescopique. On notera aussi comment l’œuvre se superpose aux graffitis antérieurement réalisés sur le mur, qu’elle respecte et intègre comme une sorte de socle coloré à ce portrait tronqué du Docteur Bec. L’œuvre finale englobe ainsi non seulement le dessin d’Oré mais aussi le mur dégradé et taggé d’un espace urbain en friche, ainsi que les végétaux qui encadrent l’œuvre sur la photographie: un amas de ronces au pied du mur, les faîtes des arbres affleurant derrière lui sur un ciel de printemps. Dans ce qui apparaît comme un « interstice urbain », les plantes et les graffitis semblent partager un même « élan vital », dit Vittorio Parisi (2019), qui « prend la forme d’une invasion créative de l’espace, une ‘esthétique de l’infestation’ à travers laquelle tant la végétation que les auteurs de graffiti se réapproprient l’environnement bâti ».
Enfin, tout comme ces taggeurs illégaux à la graphie caractéristique, Oré signe son œuvre; mais avec un logo très lisible qu’il s’est appliqué à rendre célèbre en le relayant sur les réseaux sociaux. Dans ce post, il prend également soin de titrer la fresque, recourant à une formule bilingue et à des mots-clés (hashtags) en français et en anglais qui ne font pas redondance avec la légende de l’image. Cela dénote une maîtrise des codes de la communication sur les réseaux sociaux et le souhait d’exposition publique de cet artiste, né en 1975 à Évreux, qui a débuté le « tag » à la fin des années 80 et exerce à présent son art de façon professionnelle, quoique plus ou moins anonyme.
Dans une autre publication sur Twitter où il montre une œuvre inspirée du Covid en cours de réalisation (un portrait noyé dans la forme rouge d’un virus couronné de tentacules), l’artiste écrit : « Dans cette période sidérante de #COVIDー19, la peinture me sert de catharsis. Cette pandémie révèle aussi violemment les grandes inégalités de notre société (logement, travail, école, santé). Pensée respectueuse à toutes les personnes touchées ». (compte Twitter @ore_urban_art, « Pandemia, réalité infectée », 27 avril 2020).
Le street art, malgré son institutionnalisation au sein des pratiques admises de l’art contemporain, conserve-t-il son potentiel critique et contestataire ? Cette œuvre en particulier ne semble pas se « prononcer » sur les aspects politiques de la pandémie, bien que son auteur manifeste par ailleurs un engagement militant continu (notamment contre les violences policières). Elle montre en tout cas comment l’imaginaire graphique de la pandémie de Covid-19 a pu puiser dans les représentations culturelles préalables de la maladie et de la contagion, et en particulier de la peste noire, pour tenter de domestiquer la peur suscitée par un virus inconnu et destructeur.
Couverture
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Contributeur
Relation
Oré, « Pandemia, réalité infectée », 27 avril 2020, compte Twitter @ore_urban_art, en ligne : https://twitter.com/ore_urban_art/status/1254750095205163008?s=20&t=9i--g6nH5YcKLBaOWuXRlA
Référence bibliographique
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Droits
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Référence
Fürst, Paul, Docteur Schnabel (Bec), un médecin de la peste au 17e siècle à Rome, gravure, ca. 1656. Source: Wikimedia Commons (domaine public)