Lettre des consuls et des officiers de la santé de la ville de Martigues au Conseil de marine

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Titre

Lettre des consuls et des officiers de la santé de la ville de Martigues au Conseil de marine

Description

Détresse et secours (1720-1722). Le cas de Martigues

La peste qui a frappé Marseille au cours de l’été 1720 a emprunté le chemin de la mer, mais sa propagation n’a pas affectée de manière semblable toutes les villes littorales. Certaines comme La Ciotat, Hyères et Saint-Tropez ont été épargnées par le mal ou ont réussi à le contenir par une extrême vigilance de la circulation. D’autres, malgré l’observation de certaines précautions, ont été atteintes et ravagées par la contagion comme Cassis, Bandol, Toulon et les cités de l’étang de Berre.
À Martigues, ville dépourvue de structures sanitaires (hôpitaux, lazaret), les consuls avaient, « par esprit de charité et d’humanité, retiré dans des lieux incultes et sous des cabanes nos compatriotes qui viennent de Marseille, du Levant et de Barbarie » pour faire une quarantaine sous la surveillance de gardes, et fourni les vivres nécessaires. Malgré les précautions prises le mal s’est introduit dans la ville « soit par le moyen de certains fripons qui portent des marchandises de contrebande, soit de quelques autres manières que nous ignorons. »
Dans ce contexte, alors que la mortalité progresse et que les ressources financières, nécessaires à la lutte contre le mal sont épuisées, d’autant que les fournisseurs veulent être payés « à gros prix, avec de l’argent en espèces et sans billets de banque », les consuls et intendants de santé de Martigues ont sollicité le soutien du parlement d’Aix. Comme de nombreuses communautés provençales Martigues a dû emprunter pour faire face à des dépenses extraordinaires dans un contexte troublé par la crise financière résultant de l’effondrement du système de Law. Sans réponse du Parlement, les autorités martégales se tournent, le 2 décembre 1720, vers le Conseil de Marine, en exposant les efforts engagés depuis l’été pour éviter la contagion et en rappelant, à juste titre, l’importance des gens de mer dans la ville (« 1800 matelots de toute espèce » pour 12 à 15.000 habitants). Outre cette « pépinière de marins » indispensables à la marine de l’État royal et la centaine de navires « de 1400 quintaux et au-dessus, sans compter tous les petits bâtiments qui sont arrêtés dans le port ne pouvant aller en mer ni pour le commerce, ni pour la pêche, tous les ports leur étant défendus », ils rappellent « que le port de Bouc [à l’entrée de l’étang de Berre] et les canaux qui vont jusques à Martigues sont remplis d’un grand nombre de bâtiments de mer » privant ainsi l’ensemble de la province de secours attendus. Au reste, comme ils l’avaient déjà écrit au secrétaire d’État de la marine le 23 septembre 1720, les intendants de la santé de Martigues estiment que les affaires sanitaires ne sont pas de la juridiction du Parlement dans les ports de mer, « cette juridiction étant restreinte aux villes et bourgs en terre ferme. » D’où leurs regards naturels vers le Conseil de Marine car, en invoquant l’ordonnance de 1689, ils estiment que « c’est à l’intendant de la marine de déléguer un commissaire de marine, un médecin et un chirurgien du port avec un officier de la santé pour examiner toute chose et prendre les décisions. » Avec ces arguments les consuls et intendants de la santé entendent que le Conseil de Marine intercède à leur faveur auprès du Régent « en ce temps de peste qui est le plus terrible des fléaux dont Dieu se sert pour punir notre désobéissance et notre infidélité à son service. » Pour tout ceci, et alors que la mortalité progresse, (« tel que nous vîmes hier en bonne santé se promenant par les rues est aujourd’hui enfermé dans le tombeau »), les consuls demandent l’aide du Conseil, sans oublier « le marquis de Caylus, lieutenant général des armées du roi et son commandant pour la Provence, et M. Lebret, premier président et intendant de justice qui n’ont donné que de vagues promesses. » Cet appel est accompagné de précieuses observations sur la diffusion du mal (« par le souffle ou par l’attouchement ») et sur l’état de la cité, « sans y employer aucune exagération. »
Des secours ont été accordés par le pouvoir central, mais aussi par des villes voisines et par des particuliers sensibles à la détresse des lieux affligés par l’épidémie. En juin 1721, l’État envisage une aide aux villes pestiférées en donnant une « Instruction générale pour exécuter les premières décisions du conseil de santé sur la manière de secourir la Provence » (blés, viandes, sel, argent en espèces, envoi de médecins, de chirurgiens et de religieux).
À la fin de l’année 1721, des comptes précis sont demandés concernant la distribution des secours accordés et l’état réel des dépenses engagées pendant la contagion, avec justificatifs. Les communautés adressent au début de l’année suivante un « État général des dépenses que les communautés contaminées de Provence ont été obligées de faire à l’occasion de la maladie contagieuses et des secours qu’elles ont reçus, soit de son Altesse Royale, soit de la Province. » Réunie à Lambesc, l'assemblée générale des États de la Province reçoit les délégations des communautés dépêchées pour obtenir un soutien financier (aides directes, dégrèvements fiscaux). Dans les doléances rédigées pour être présentées à cette instance se lisent le découragement, la détresse, mais aussi un apitoiement où se mêlent menace et pression : « si dans cette triste situation où se trouve notre pauvre lieu, la Province ne compatit pas à notre malheureux sort, nous serons forcés, malgré nous, d'abandonner et de courir le risque de laisser le lieu sans habitant. » La perspective est certes excessive, mais le poids de la peste a longtemps pesé sur les communautés provençales et la ville de Martigues, déjà affectée par les effets des guerres de la fin du règne de Louis XIV, connaît alors sinon un déclin tout au moins un réel fléchissement du dynamisme qui avait été le sien au XVIIe siècle.

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Provence
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Relation

Buti, Gilbert, « Littoraux provençaux sous discrète surveillance sanitaire (fin XVIIIe-début XIXe s.) », in Anne Brogini et Maria Ghazali (dir.), La Méditerranée au prisme des rivages. Menaces, protections et aménagements en Méditerranée occidentale (XVIe-XXIe s.), Paris, Bouchène, 2015, pp. 209-224.
Buti, Gilbert, Cabantous Alain, De Charybde en Scylla. Risques, périls et fortunes de mer en Europe du XVIe siècle à nos jours, Paris, Belin, 2018.
Biraben, Jean-Noël, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, 2 volumes, Paris-La Haye, Mouton, 1975-1976.
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Hildesheimer, Françoise, « La protection sanitaire des côtes françaises au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1980, oct.-déc., pp. 443-467.
Paoli, Jean-Marie, Martigues au XVIIIe siècle : un déclin, mémoire de maîtrise, Université de Provence, 1971.
Tzortzis, Stéfan, Archives biologiques et archives historiques : une approche anthropologique de l’épidémie de peste de 1720-1721 à Martigues (Bouches-du-Rhône, France), thèse de doctorat en anthropologie biologique, Université de la Méditerranée, 2009.

Référence bibliographique

Lettre des consuls et des officiers de la santé de la ville de Martigues au Conseil de marine, AN, MAR-B-3-267 Intendances sanitaires du Levant. Correspondance des intendants de santé dans les ports de Marseille, Toulon, et Martigues pendant la peste. 1720.

Source

AN, MAR-B-3-267 Intendances sanitaires du Levant. Correspondance des intendants de santé dans les ports de Marseille, Toulon, et Martigues pendant la peste. 1720.

Ayants droit

cliché : Gilbert Buti

Format

28 cm x 21 cm

Location

AN, MAR-B-3-267 Intendances sanitaires du Levant.