Frais de La Comuntté Pandant la pestte du lieu en 1721

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Titre

Frais de La Comuntté Pandant la pestte du lieu en 1721

Description

Les relations écrites « sur le vif » par des témoins de la « grande contagion » sont peu nombreuses surtout dans les petites localités. Quelques documents ayant échappé à la maltraitance des vieux papiers permettent cependant de franchir le mur du silence qui les entoure et d’approcher certains acteurs du drame. En avril 1721, le notaire Jean-François Bouyon, intendant de santé et greffier subrogé du conseil de ville de La Valette, bourg situé près de Toulon, est retranché dans l’hôtel de ville, en compagnie d’autres dirigeants de la cité. La quarantaine générale ou serrado y a été décidée, à la suite d’une poussée de mortalité « précipitée » indiquant la présence de la peste qui ravage, depuis le début de l’année, le port militaire voisin soumis également à un confinement général. Le notaire quitte régulièrement le refuge municipal pour enregistrer dans son minutier les actes des habitants confinés, actes dominés par les dispositions testamentaires « transmises par la voix ». Par ailleurs, il accomplit les devoirs de sa charge municipale en utilisant pour ce faire un registre disponible à la couverture jaunâtre. Outre la transcription d’un « remède contre la peste », l’enregistrement de décisions communales, le dénombrement des habitants confinés dans leur domicile et les « dépenses de bouche » faites pour secourir ceux-ci, il a réalisé à la plume des dessins en relation étroite avec le temps de peste où se mêlent superstitions, croyances et pratiques religieuses. L’ouverture de « L’état des frais de la communauté pendant la peste du lieu en 1721 » est illustrée par la représentation d’un pèlerinage à la Sainte-Baume. Il s’agit d’un des sanctuaires majeurs de Provence, sinon le plus important, fréquenté depuis l’invention des reliques de Marie-Madeleine à Saint-Maximin en 1280. Plusieurs souverains ont visité aux XVIe et XVIIe siècles ce site que dessine avec une grande fidélité par le notaire valettois le « 27 avril, l’an de la grande peste. » Après avoir traversé la magnifique forêt « rélictuelle » au pied du massif, un chemin sinueux aboutit à l’ermitage, puis à la chapelle et à la grotte où vécut Marie-Madeleine. Le dessinateur n’a pas omis de représenter le sentier, emprunté ici par des pèlerins et un mulet, qui conduit au-delà de l’ermitage à la chapelle du Saint-Pilon et d’y situer un des sept oratoires jalonnant le « chemin des Roys ». Membre de la confrérie des pénitents blancs, seule « confrérie association » selon la typologie de Maurice Agulhon existant alors à La Valette, Jean-François Bouyon connait certainement les lieux. C’est peut-être lui qui, sous le sac des pénitents, porte la croix en tête du petit groupe qui marche dans les « bois sacrés » en direction de la grotte de Marie-Madeleine. La procession de la Passion, un des moments forts pour les pénitents, n’a pas pu avoir lieu étant donné la quarantaine générale. Ce croquis se substitue-t-il à cette pratique religieuse contrariée ? Est-ce le souvenir d’un ancien pèlerinage ou la promesse d’un prochain ? Peut-être les deux. Ces dessins, fragments intimes en rien destinés à être publiés, ne prétendent pas être des marqueurs d’attitudes collectives, mais simplement quelques traces d’exercices de piété individuelle. Par ailleurs, alors que le sanctuaire de la Sainte-Baume est moins fréquenté par les Grands au début du siècle des Lumières, la référence à celui-ci, faite par un homme malade et seul « à l’heure du grand passage » (Michel Vovelle), rappelle que la dévotion envers Marie-Madeleine reste encore vive parmi de modestes « marcheurs de Dieu ». Ce grand témoin, qui a été atteint par la maladie, figure parmi ceux qui ont reçu, entre les 23 et 28 mai à l’infirmerie du Saint-Esprit, « des emplâtres résolutifs avec onguents de basilic. » Le remède a-t-il été efficace ? Force est de reconnaître que Bouyon n’a pas succombé au fléau qui a emporté en quelques semaines les deux tiers de la population dont un de ses enfants, sa mère, deux de ses sœurs et un frère. Le bourg qui comptait 1598 habitants en mars 1721 n’en a que 530 en juillet. Le notaire Bouyon est mort à La Valette le 9 mars 1766, à l’âge de 78 ans, « muni des sacrements de pénitence, d’Eucharistie et d’Extrême-onction. »

Couverture

Couverture spatiale

Provence
Toulon
La Valette

Couverture temporelle

Date

Type

Archive

Langue

Contributeur

Relation

Buti, Gilbert, « La peste à La Valette en 1721 : Livre jaune et grand témoin », Provence historique, fasc.189, juillet-septembre 1997, pp. 513-534.
Buti, Gilbert, « Lettres de Toulon pendant l’épidémie de peste de 1720-1722 », dans Signoli Michel, Dutour Olivier, Boëtsch Gilles, Cheve Dominique, Abadian Pascal, (dir.), Peste : entre épidémies et sociétés, Florence, Firenze university Press, 2007, pp. 155-162.

Bel, Pierre, La Valette, vieux village de Provence, La Valette, 1930 (rééd. 1989).

Bertrand, Régis, « L’iconographie de la peste à Marseille ou la longue mémoire d’une catastrophe », dans Images de la Provence. Les représentations iconographiques de la fin du Moyen-âge au milieu du xxe siècle, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1992, pp. 75-87.
Bertrand, Régis, « Danger de peste et culte de Saint-Roch. L’épigraphie des infirmeries», Catalogue de l’exposition Marseille en temps de peste, 1720-1722, Ville de Marseille, 2022, pp. 64-70.
Bertrand, Régis, Mort et mémoire. Provence XVIIIe-XXe s. Une approche d’historien, Marseille, La Thune, 2011.

Martin, Philippe, Les religions face aux épidémies. De la peste à la covid-19, Paris, éditions du Cerf, 2020.

Sigal, Pierre André, Les marcheurs de Dieu, Paris, A. Colin, 1974.

Vovelle, Michel, L’heure du grand passage : chronique de la mort, Paris, Gallimard coll. « Découvertes », 1993.

Référence bibliographique

Frais de La Comuntté Pandant la pestte du lieu en 1721, Jean-François Bouyon, 1721, Archives municipales de La Valette-du-Var. II-20. Livre jaune.

Source

Archives municipales de La Valette-du-Var. II-20. Livre jaune

Droits

Domaine public

Ayants droit

Cliché: Gilbert Buti

Format

18 cm x 21 cm

Support

Registre : papier (dessin manuscrit)

Location

Archives municipales de La Valette-du-Var. Livre jaune