On veut des masques -On n'en a pas... mème internet de la pandémie de Covid-19

Meme_masques.jpg

Titre

On veut des masques -On n'en a pas... mème internet de la pandémie de Covid-19

Description

Mèmes masqués. Humour viral autour d’une pénurie

Parmi les polémiques générées durant la pandémie de Covid-19 en France, le débat sur la question de l’approvisionnement national en masques chirurgicaux, non seulement pour les personnels soignants du système de santé publique, mais aussi pour la population générale, a été particulièrement virulent.

Ce mème, reposté sur de multiples réseaux sociaux numériques durant l’été 2020, démontre la prégnance du sujet, et renvoie plus largement à la perception, par une certaine opinion publique, de la façon dont les autorités politiques ont géré cette crise sanitaire.

Posté le 6 août 2020 par l’usagère de Twitter @Nini_MacBright, compte humoristique ouvert début 2016 aux plus de 600.000 abonnés, ce mème comptabilise 187.000 retweets et 599.000 mentions 'j'aime' (fin 2022). Dans ce post, le mème est accompagné de ce seul commentaire : « 2020… » Cette légende  lui confère une portée générale : il figurerait ainsi, au milieu de l’année 2020, non pas une séquence isolée du feuilleton de la pandémie de Covid-19, mais une représentation allégorique de l’ensemble de la crise.

Pourtant, il n’a trait qu’à une seule, parmi bien d’autres, des polémiques et controverses qu’a suscitées cette pandémie. En France, au premier semestre 2020, la pénurie de matériel d’hygiène due à une rupture des stocks publics, notamment de masques de protection efficaces pour les soignants et le personnel médical, a été l’un des points d’achoppement du débat public (voir les documents de cette galerie sur les manifestations des soignants et la crise de l'hôpital).
Arnaud Mercier (2020) explique à ce propos que malgré des rapports parlementaires précoces (2005) alertant l’État français sur les risques épidémiques présents et à venir, et l’incitant à s’équiper en matériel prophylactique dans cette perspective, le principe de précaution a fini par être supplanté par une logique d’économie des deniers publics: à l’adage « gouverner, c’est prévoir » c’est substitué celui-ci : « être sûr de ne pas trop stocker car il est essentiel de ne pas dépenser plus qu’il ne faut ».

Au-delà des personnels soignants, les autorités ont aussi placé nombre de travailleurs et leurs employeurs face à une injonction contradictoire, en leur demandant d’aller travailler, tout en leur expliquant que l’État ne pouvait leur fournir des moyens de protection minimale. En France, l’exemple des déclarations de porte-parole du gouvernement tels Sibeth Ndiaye et Olivier Véran sur l’inutilité du port du masque en population générale, diffusées à l’envi dans l’émission Quotidien sur TMC, témoigne des difficultés des acteurs politiques à répondre publiquement de leur gestion de la crise, alors même que l’état des savoirs sur le virus n’était pas stabilisé.

À ces injonctions contradictoires émanant des autorités, l’opinion a répondu par la défiance, dans une symétrie inversée : clamant « On veut des masques ! » lorsque les autorités n’en avaient pas ; et répliquant, lorsqu’État est parvenu à en fournir: « On les mettra pas ! ». Ce mème figure ainsi le face-à-face virtuel entre le "pouvoir" (incarné ici par le chat blanc) et "l’opinion", représentée par la femme en colère, au doigt accusateur pointé face à elle et dont les 'propos' imaginaires sont transcrits en lettres capitales, équivalent typographique du cri dans la culture numérique.
Il s’agit d’un template de mème très célèbre, connu sous le nom de « Woman yelling at a cat », reposant lui-même sur la juxtaposition de deux images : celle d’une participante de l’émission de télé-réalité nord-américaine The Real Housewives of Beverly Hills, en pleine dispute, à côté de la photo d’un chat blanc à l’air méfiant, attablé devant une assiette de légumes. Le mème, posté le 1er mai 2019 par l’utilisatrice @MissingeGirl sur Twitter, est devenu aussitôt viral : c’est l’un des plus échangés de l’année 2019, voire de la décennie 2010. Le chat a par la suite été identifié comme Smudge the Cat, personnage d’une autre fameuse série mémétique, d’après le répertoire en ligne Know your meme.  

En plaçant dans une structure de chiasme deux copies inversées du double template initial, ce mème figure les deux temps d'un dialogue, qui se présente comme non un dialogue de sourds -les deux personnages étant respectivement enfermés dans leur boîte qu'est la vignette, et leur attitude ne bougeant pas d'un iota...
Ce mème moque ainsi la simplicité argumentative et l'aspect mécanique et binaire des discours respectifs de « l’opinion » et du « gouvernement » sur la question des masques, et notamment l’esprit de contradiction caractéristique des secteurs d’opinion dits « complotistes » —prendre le contrepied systématique des discours officiels étant l’un de leur biais de raisonnements habituels (Taguieff, 2005). Mais il attire aussi l’attention sur la composante émotionnelle de cette réaction de l’opinion publique face au discours politique sur la crise. La colère de l’actrice de téléréalité Taylor Armstrong dans cette capture d’écran était loin d’être feinte, et le template du mème utilisé ici est classé parmi les séries qui illustrent comiquement des émotions subjectives.

Ce mème fait donc état de plusieurs thématiques qui sont récurrentes dans le corpus sélectionné, ainsi que dans d’autres corpus, nord-américains notamment, tel que celui étudié par Marta Dynel (2020). Ces mèmes ne témoignent pas seulement du vécu, par les particuliers, de la mesure restrictive et contraignante qu’est l’obligation du port du masque dans les espaces publics, ou de l’inventivité populaire à imaginer ou confectionner des masques « maison » tous plus absurdes les uns que les autres (et copieusement raillés sur les réseaux dans une polyphonie de commentaires imbriqués). Les mèmes peuvent aussi fournir un aperçu des questions sociales et politiques actuelles : ils sont des vaisseaux condensés, conçus pour le partage public, d'informations et d'opinions sérieuses (Curchod et. al., 2021). Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, ils témoignent de la politisation du débat citoyen sur la politique sanitaire à mener, et menée jusque-là, contre la pandémie.

Couverture

Couverture temporelle

Date

Type

Illustration

Langue

Créateur

Relation

Curchod, Marion ; Sieber, Victorine ; Stern, Guillaume, « Rire en contexte pandémique : les memes, analyse d’une pratique digitale », Cahiers du Centre de Linguistique et des Sciences du Langage, n°64, 2021, pp. 117‑126. En ligne : https://www.cahiers-clsl.ch/article/view/1033.

Dynel, Marta, « Covid-19 memes going viral: On the multiple multimodal voices behind face masks », Discourse & Society, vol. 32, n°2, nov. 2020. DOI: https://doi.org/10.1177/0957926520970385 SM.

Mercier, Arnaud, « La France en pénurie de masques : aux origines des décisions d’État », The Conversation, 22 mars 2020, [En ligne : http://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-detat-134371].

Taguieff, Pierre-André, La foire aux illuminés : ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005.

Fiche du template "Woman Yelling at a Cat" sur le dictionnaire des mèmes en ligne knowyourmeme.com, notice créée le 20 juin 2019. En ligne: https://knowyourmeme.com/memes/woman-yelling-at-a-cat

Référence bibliographique

"On veut des masques/On n'en a pas...", mème  anonyme ayant circulé sur les réseaux sociaux en France en 2020.

Source

Compte Twitter @Nini_MacBright, contenu publié le 6 août 2020 : https://twitter.com/nini_macbright/status/1291299756321509381

Original Format

Fichier image numérique au format .png

Physical Dimensions

960x960 px, 86 Ko