Carte du voyage du Grand Saint-Antoine (1719-1720)

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Titre

Carte du voyage du Grand Saint-Antoine (1719-1720)

Description

Le Grand Saint-Antoine a quitté Marseille le 22 juillet 1719 pour Smyrne qu’il a atteint le 20 août et y a effectué divers chargements pour préparer son retour. Il se rend ensuite à Mosconissy (Muskonisia, golfe d’Edremit), puis à Seyde (antique Sidon, actuelle Saïda), Sour (ancienne Tyr) et Tripoli de Syrie. La mort, le 5 avril 1720, d’un passager turc embarqué deux jours auparavant lors de cette escale, ne semble guère avoir attiré l’attention du capitaine Jean-Baptiste Chataud, tout au moins suscité son inquiétude. Le chirurgien du bord considère qu’il s’est étouffé en dormant, tandis que les quatre autres passagers turcs demandent à partager les hardes et bagages du défunt. Le Grand Saint-Antoine qui a essuyé une forte tempête effectue une escale technique à Larnaca (Chypre) avant de prendre le chemin du retour. Le vaisseau a laissé Chypre à la mi-avril 1720 muni d’une patente nette et chargé de marchandises diverses prises aux précédentes escales (Seyde, Sour et Tripoli) : balles de coton « en laine » (brut), de coton fin, de coton filé, de laine rousse, de ballots de soies, de bourre de Damas, de toiles imprimées dites « indiennes », de sacs de cire…embarquements effectués alors que la peste sévissait en Syrie, ce que semblaient ignorer le capitaine Chataud et le consul de France qui a délivré la patente. La cargaison, estimée à quelques 350 000 livres-tournois ou 100 000 écus (ce qui pourrait être estimée de 9 à 10 millions d’euros) appartient en partie au capitaine, mais surtout à de puissants négociants marseillais à commencer par les échevins Jean-Baptiste Estelle, Bernard Dieudé et Jean-Baptiste Audimar. Ces notables attendent les marchandises levantines pour en diriger une large part vers la foire annuelle de Beaucaire, près d’Arles. La foire de la Madeleine, dont l’ouverture est fixée au 22 juillet, est un grand marché international fréquenté par des commerçants de toute l’Europe méridionale. Durant la traversée de retour furent dénombrés plusieurs autres décès parmi les hommes de l’équipage : cinq matelots et le chirurgien de bord qui avait diagnostiqué, pour rendre compte des décès de ses camarades, tantôt une « oppression de poitrine », tantôt «  une sorte de fièvre due certainement à la fatigue ». Pourtant, la peste est à bord, bien que ses manifestations caractéristiques, comme la présence de bubons ou charbons, ne semblent pas clairement établies sur les corps des victimes. Le capitaine et les matelots peuvent-ils l’ignorer, eux qui fréquentent le Levant et qui connaissent les symptômes du mal ? Avant d’arriver à Marseille, le Grand Saint-Antoine a fait une surprenante escale en rade du Brusc, non loin de Toulon, du 4 au 10 mai. Le temps pour le capitaine de prévenir les armateurs intéressés à la cargaison du navire, à commencer par le premier échevin Jean-Baptiste Estelle, et de recevoir des instructions. Pour éviter une immobilisation des marchandises destinées à Beaucaire, à cause d’une longue quarantaine qui serait imposée à Marseille, le capitaine se rend à Livourne en quête d’une patente « rassurante ». Le 15 mai 1720, alors que le vaisseau se trouve en rade du port toscan, l’équipage compte trois nouvelles victimes, dont le mousse. À la suite des examens des corps effectués par le médecin du port sont diagnostiquées des « fièvres malignes pestilentielles ». Le capitaine n’obtient pas une patente nette mais un certificat qui mentionne ces « fièvres » que l’on ne saurait confondre, dans la terminologie du temps, avec la peste. Muni de ce document délivré par les autorités du grand port voisin, le capitaine Chataud se rend à Marseille où sa déposition est enregistrée par les membres du bureau de la Santé le 25 mai 1720. Et complétée ultérieurement :

"Dudit jour, soit le 25 mai 1720 : Monsieur Tiran, intendant semainier, a interrogé Jean-Baptiste Chataud, capitaine du vaisseau le Grand Saint-Antoine, venant de Seide avec patente [ces deux derniers mots barrés], en manque depuis le 30 janvier, chargé de diverses marchandises pour plusieurs. Il a touché à Tripoly, en est parti le 3 avril, et de Chypre le 18, il a relâché à Livourne, d’où il manque depuis le 19 du courant y ayant laissé le capitaine Buech. Il a 8 passagers, le capitaine Carré disgracié, un arménien et son valet et autres pour les infirmeries. [*en ajout et surcharge : « ayant déclaré que les gens de son équipage qui lui sont morts, tant en route qu’à Livourne, sont morts de mauvais aliments »]. Il faut 1 garde. Il faut 4 portefaix ; la voile à M. Laurens."

  Après la mort d’un matelot intervenue le lendemain de cette déposition, le bureau de la Santé songe à imposer une longue quarantaine au navire sur l’île de Jarre, qui fait partie du dispositif sanitaire le plus éloigné de la ville mais qui est dépourvue de structures pour abriter les marchandises. Le Bureau se reprend pourtant le jour même – a-t-il subi une pression extérieure ? ‑ et décide de laisser le vaisseau à Pomègues, îlot dans la rade de Marseille. Le capitaine Chataud débarque aux Infirmeries les passagers et les marchandises fines, que le soleil risquerait de gâter à l’île de Jarre où sont expédiés les produits plus grossiers : 40 jours de quarantaine sont imposés aux produits, 30 au navire et 20 aux passagers. Cependant, inquiets à la suite de plusieurs décès, les responsables du Bureau assignent le navire à un isolement complet à l’île de Jarre, avec purge des marchandises restantes. Le vaisseau y est remorqué pour être désinfecté, les balles sont défaites et leur contenu aéré pour en chasser les miasmes. Là cesse le voyage du Grand Saint-Antoine.

  • Voir également dans cette exposition le modèle du navire Grand Saint-Antoine extrait du Dictionnaire de Marine contenant les termes de la navigation et de l’architecture navale, Amsterdam, Jean Covens et Corneille Mortier, 1736 (2nde édition)

Couverture

Couverture spatiale

Marseille-Amsterdam

Couverture temporelle

Date

Type

Carte

Langue

Contributeur

Relation

Gilbert, Buti, Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence, 1720-2020, Paris, Le Cerf, 2020.
Carrière Charles, Courdurié Marcel, « Un document nouveau sur la peste de Marseille », Provence historique, n°131, janvier-mars, 1983, pp. 103-108 (document signalé par Pierre Viatte dans les archives hospitalières de Toulon).
Goury, Michel, « Hypothèse de la transmission de la peste à bord du Grand Saint-Antoine », dans Signoli Michel, Dutour Olivier, Boëtsch Gilles, Chevé Dominique, Abadian Pascal (dir.), Peste : entre épidémies et sociétés, Florence, Firenze univ. Press, 2007, pp. 163-176.
Goury, Michel, « Déposition du capitaine Jean-Baptiste Chataud. Complaisance d’un Bureau de la Santé défaillant », Catalogue de l’exposition Marseille en temps de peste, 1720-1722, Ville de Marseille, 2022, pp. 71-81.
Goury, Michel, Un homme, un navire : la peste de 1720, Marseille, Jeanne Laffitte, 2013.
Goury, Michel, « Le Grand Saint-Antoine. Les fouilles archéologiques sous-marines d’un navire maudit », Catalogue de l’exposition Marseille en temps de peste, 1720-1722, Ville de Marseille, 2022, pp. 33-44.
Saman, Édouard, « Le dernier voyage du Grand Saint-Antoine », revue Marseille, 1984, n°137-138, pp. 39-49

Référence bibliographique

Carte du voyage du Grand Saint-Antoine (1719-1720), Gilbert BUTI et Michel COURTIES pour Gilbert Buti, Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence, 1720-2020, Paris, Le Cerf, 2020, p. 55.

Source

Gilbert, Buti, Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence, 1720-2020, Paris, Le Cerf, 2020.

Droits

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