Titre
Description
De quoi l’affaire Raoult est-elle le nom ?
Ce mème anonyme, qui a circulé sur les réseaux sociaux numériques au premier semestre de l’année 2020, offre l'image typique du célèbre savon de Marseille, dont le nom a été altéré en « savant de Marseille ». Le ‘savant’ qui agite les réseaux ? Celui dont le savon porte l’effigie, reconnaissable entre tous malgré une photo pixelisée et grossièrement détourée: le professeur Didier Raoult, professeur de microbiologie spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille (IHU). Un authentique « savant de Marseille », qui est soudainement devenu, au début de la crise du Covid-19, une personnalité nationale voire internationale.
L’image du savon, qui renvoie aussi, dans ce contexte, à la consigne sanitaire généralisée du « lavage de mains », est apposée sur un arrière-plan presqu'entièrement masqué : une photographie du Vieux-Port de Marseille. Objet d'une fierté toute particulière pour les Marseillais, qui y ont trouvé un nouvel argument dans leur éternelle rivalité et guerre d’image avec Paris, le savant de Marseille a dans le même temps (et entre autres, pour cette raison), été abondamment raillé sur les réseaux sociaux autant que décrié dans les médias. La réalisation de ce mème montre bien le processus de « mythification médiatique » dont a soudainement été l’objet la figure de ce chercheur, jusque-là méconnu du grand public, au début de la crise sanitaire.
« L’Affaire Raoult » est un exemple frappant des controverses scientifiques —et médiatiques— qu’a pu susciter la pandémie de Covid-19. Le débat, en l’occurrence, a porté sur la proposition de prescription d'hydroxychloroquine (HCQ) contre le Covid-19, lancée par le chercheur marseillais fin janvier 2020, qui lui a permis de faire une entrée fracassante sur la scène médiatique.
Les vidéos de Didier Raoult sur le compte YouTube de l’IHU (qui à partir de la mi-janvier 2020 comptabilisent des centaines de milliers, puis des millions de vues) ; ou encore les contenus de son compte Twitter (qui enregistre 250.000 abonnements la première semaine de sa création, le 25 mars), ont été massivement relayés sur les réseaux sociaux, Facebook notamment. Le Pr Raoult et son traitement ont bientôt conquis légitimité et crédibilité médiatique internationale, notamment lorsque Donald Trump a placé ses espoirs dans sa thérapie lors d’un point de presse officiel le 19 mars, ou lorsqu’Emmanuel Macron lui a rendu visite, lors d’un déplacement à Marseille, le 9 avril 2020 (Varga, 2020).
L’affaire a fait l’objet d’une focalisation médiatique telle qu’elle a « exercé une pression très forte sur le cours normal de la recherche » et a « généré des interférences intenses, concentrées dans un temps très court, du champ scientifique avec le système politique et médiatique » (Smyrnaaios et al., 2021). Ces débats, où sont intervenus de multiples acteurs (scientifiques et médecins, responsables politiques, journalistes, mais aussi citoyens ou personnalités publiques) se sont rapidement convertis en polémique, glissant de la discussion sur la pertinence du traitement par l’HCQ à la critique ad hominem de la personnalité du professeur.
L’affaire a été relancée périodiquement par des « rebondissements » de la controverse scientifique, notamment lorsque la prestigieuse revue scientifique nord-américaine The Lancet a publié un article remettant en cause les résultats du Pr Raoult, article qui s’est lui-même révélé par la suite être frauduleux, et que le Lancet a dû rétracter.
L’affaire Raoult pose ainsi, plus largement, la question de la circulation de fausses nouvelles durant la crise du Covid, étroitement liée, ici, à la question du statut de l’expertise scientifique auprès des médias et des autorités politiques. Dans cette polémique, les réseaux sociaux « ont joué un rôle de premier plan dans la circulation de fausses nouvelles, contribuant ainsi à effriter la confiance dans la médecine officielle et à alimenter la méfiance envers les spécialistes » (Vicari, 2022).
Même si, comme le pointe le rapport du comité d’éthique du CNRS du 25 juin 2021, le discours pro-Raoult et le soutien sans partage d’une partie de la population à son traitement « revêt certains traits du populisme scientifique », le discrédit qui a affecté le milieu de la recherche dans son ensemble durant la pandémie de Covid-19 ne relève « pas simplement d’une théorie conspirationniste antiscience », comme l’estime une étude récente de plus d’un million de « tweets » que l’affaire a générés (Smyrnaaios et al., 2021). Le discours des partisans de Raoult, caractéristique du récit contemporain opposant le « peuple » aux « élites », a ainsi fait du savant « une sorte de héros populaire en lutte contre l’establishment parisien et les milliardaires, propriétaires de l’industrie pharmaceutique et des médias, pour sauver le peuple de la pandémie ».
Ainsi, même si la polémique médiatique s’est progressivement tarie après qu’un consensus scientifique a fini par émerger, fin août 2020, sur l’inefficacité du traitement à l’HCQ, la figure du professeur Raoult n’en a pas moins continué d’être icônisée, et iconicisée dans la culture populaire, comme dans ce mème du savon.
Témoins de ce processus de « mythification », des produits à l’effigie de Didier Raoult (tee-shirts, casquettes, mugs, affiches, cierges de « Saint Raoult » et même une bière, la « Chloroquine Dundee ») ont ainsi été commercialisés dès la mi-2020, et connaissent depuis lors un certain succès commercial dans la région marseillaise et au-delà, notamment en ligne. Ces objets montrent que le « savant de Marseille » a peu à peu été érigé en figure héroïque, et son traitement en « remède miracle », occupant dans le récit collectif de la crise sanitaire une fonction salvatrice voire prophétique, dont l’humour populaire a tôt fait de s’emparer.
Couverture
Couverture spatiale
Couverture temporelle
Date
Type
Langue
Créateur
Contributeur
Relation
Brossard, Dominique, « Media, scientific journals and science communication: examining the construction of scientific controversies », Public Understanding of Science, vol. 18, n°3, 2008, pp. 258-274. DOI : 10.1177/0963662507084398